Du châtiment à la vengeance : Le prince et la vérité du crime à la fin du Moyen Âge

À la fin du Moyen Âge, alors que le pouvoir du prince tend à se renforcer, les modalités de son action politique restent parallèlement régies par la moralité chrétienne et théorisées en vue d'un idéal : le bien commun. La figure du prince justicier, dans ce paradigme, est essentielle, et son pouvoir, d'origine divine, incontesté. L'abondante littérature didactique de l'époque, en élaborant les règles d'un comportement politique prescrit, reflète pourtant la réalité (et l'inquiétude ?) d'une évolution : à l'aube de l'apparition de l'État moderne, les « arts de gouverner » et les rapports de force sont en pleine mutation. Sont-ils le signe d'une capacité d'adaptation, ou l'expression d'un pouvoir « pressé » par la situation ? Plusieurs épisodes marquants, rapportés par les sources narratives des XIVe et XVe siècles, mettent en scène le prince face à des situations de justice particulières où celui-ci choisira de répondre par la force violente, au-delà de toute mesure ou en dépit de toute attente. Points d'acmé de l'expression d'un pouvoir souverain (ou en quête de souveraineté), ces cruautés interpellent et choquent, interrogeant la portée morale et politique de la répression. Comment, en effet, lire l'action du prince lorsqu'elle ne semble plus correspondre à l'économie mesurée de la violence (et de la grâce) nécessaire au bon gouvernement et confère au châtiment princier toutes les caractéristiques d'une vengeance ?At the end of the Middle Ages, while the royal power gradually strengthens and centres around the figure of the prince, his political action remains ruled by the christian morality and the purpose of the common good. The abundant political and didactic literature, though, reflects the reality (and the apprehension?) of an evolution: at the dawn of the modern Sate, the arts of government and the power relations are changing. Are they the sign of a necessary adjustment, or the expression of an overwhelmed power? By the examination of some specific violent episodes of justice described by narrative sources of the 14th and 15th centuries, this article tends to observe the reactions of the prince when the latter chooses to answer by the use of the force, beyond customs and expectations. As extreme displays of the sovereign power (or, of a power seeking for sovereignty), these “cruelties” seemed to shock the contemporaries. Beyond the set-up speech and the prince's justification, the necessity of such acts, as well as the moral and political impact of punishment, is in question. How to understand the prince's decision when it fits no longer with the balanced use of force (and mercy) that a good government requires? When the punishment of the prince suddenly gets the appearance of a personal vengeance, the question of a legitimate violence must cope with many rhetorical and formal obstacles in order to find its place in the discourse of the sovereignty