Histoire d’un paysage sonore. La grande cloche bouddhique de l’ère Yongle dans la littérature locale de Pékin, 1600-1900

Cast in Peking around 1420 and covered with rich religious inscriptions in Chinese and lantsa, the great Buddhist bell of the Yongle reign was first placed in the Wanshou temple from 1607 to 1743 and then in the Juesheng temple, where one can still see it today. At each moment when it was moved, the Peking literati redefined the symbolism of its ringing and redrew the boundaries of its acoustic space. Thus, the bell became the soundmark of each temple that sheltered it. Towards the end of the Ming, it was believed that this gigantic instrument nearly 7 metres high was able to recite all the sutras and dhāraṇī inscribed on it and produced sounds that spread not only across the capital but also in the netherworld. After the change of dynasty, the Ming literati’s explanation was no longer accepted by the Qing authors for historical and political reasons. Emperor Qianlong reinterpreted the power of this large bell by claiming that it helped with the attainment of nirvāṇa. He placed it in an imperial Buddhist site and recreated a sound space, by marking several sites in Peking where one could hear its ringing. This article is an attempt to retrace the history of the soundscape formed by this huge Buddhist bell and it proposes a historical analysis of the acoustic environment in a Chinese temple.Fondue à Pékin autour de 1420 et couverte de riches inscriptions religieuses en chinois et en lantsa, la grande cloche bouddhique de l’ère Yongle fut d’abord, de 1607 à 1743, placée dans le temple Wanshou. Elle fut ensuite installée dans le temple Juesheng, où elle se trouve encore aujourd’hui. À chacun de ses déplacements, les lettrés de Pékin redéfinirent le symbolisme de son carillon et redessinèrent la carte de son rayonnement acoustique. Elle était comme le « marqueur sonore » du temple qui l’abritait. Vers la fin des Ming, la voix de cet instrument de près de sept mètres de haut passait pour une manière de récitation des sūtra et des dhāraṇī inscrits sur sa surface. Elle convertissait les masses et ses sons, qui couvraient l’ensemble de la capitale, franchissaient même la frontière entre le monde des vivants et celui des morts. Après le changement de dynastie, les lettrés des Qing rejetèrent cette interprétation pour des raisons historiques et politiques. L’empereur Qianlong réinterpréta le chant de la grande cloche, lui prêtant le pouvoir d’aider les hommes à réaliser le nirvāṇa. Il installa la cloche dans un nouveau site bouddhique et traça le périmètre de son espace sonore en identifiant les lieux d’où l’on pouvait l’entendre. Cet article tente de retracer l’histoire du paysage sonore constitué par cette cloche exceptionnelle et propose une analyse historique de l’environnement acoustique d’un temple chinois.Yang Lei. Histoire d’un paysage sonore. La grande cloche bouddhique de l’ère Yongle dans la littérature locale de Pékin, 1600-1900. In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 104, 2018. pp. 267-299