Lecture, écriture et croyance dans la France du xixe siècle : la réception de la Vie de Jésus de Renan auprès du grand public

La Vie de Jésus d’Ernest Renan, publiée le 24 juin 1863, fut, dans l’Europe du xixe siècle, l’une des sensations éditoriales dans le domaine non fictionnel. Produite dans un contexte d’alphabétisation croissante et de baisse des coûts d’impression, la biographie historique du fondateur du christianisme par Renan s’est vendue bien mieux que les travaux académiques de ses collègues, mais aussi que les œuvres de nombreux romanciers célèbres. Cet article examine sous un angle nouveau la controverse touchant à la Vie de Jésus, en adoptant le point de vue des lecteurs. Après une analyse des origines, du contenu intellectuel et de la réception imprimée du livre, on prend en compte un matériel d’archives largement négligé, issu de la correspondance personnelle de Renan. L’analyse qui en résulte fournit une nouvelle grille de lecture du succès de la Vie de Jésus, qui met l’accent sur son attrait pour ceux qui sont, au sein de la société française, s’efforçaient de concilier les revendications de la foi et celles de la raison. En même temps, l’article suggère que l’opposition à l’égard de Renan était enracinée dans des facteurs qui allaient bien au-delà de ses positions sur le christianisme, en particulier dans la forme romanesque de son écriture. Cette critique avait également une dimension genrée, dans le contexte d’une inquiétude généralisée des élites concernant l’absence de médiation des lectures féminines.Ernest Renan’s Vie de Jésus, published on 24 June 1863, was one of the nonfiction sensations of nineteenth-century Europe. Produced in a context of expanding literacy and declining print costs, Renan’s historical biography of the founder of Christianity outsold not only the author’s academic colleagues, but also many famous novelists. This article re-examines the controversy around Vie de Jésus from the perspective of its readers. After an analysis of the origins, intellectual content, and print reception of the book, it moves on to largely neglected archival material from Renan’s personal correspondence. The resulting analysis provides a new account of the success of Vie de Jésus that focuses on its appeal to those a seam of French society who wanted to reconcile the claims of faith and reason. At the same time, the article suggests that opposition to Renan was rooted in factors that extended beyond his conclusions about Christianity, most notably the novelistic form of his writing; this critique also had a gendered dimension in the context of widespread elite anxieties about unmediated female reading