Le dégel de la parole. Quête d'uniformité et dissensus religieux en Angleterre sous le règne d'Henri VIII

International audienceDe 1525 à 1559, l’Angleterre connaît un processus de réformation religieuse particulièrement heurté. Si Henri VIII a fait du roi anglais, le « chef suprême sur terre de l’Église d’Angleterre », en un quart de siècle se sont succédés quatre souverains aux confessions religieuses différentes (Henri VIII, Édouard VI, Marie Ière et Élisabeth Ière) qui imposèrent à l’Église anglaise d’incessant ajustements doctrinaux et liturgiques. Par-delà la diversité des confessions, tous les souverains Tudors ont voulu imposer à leur peuple une « uniformité religieuse » : tous les sujets doivent se conformer aux croyances et aux pratiques établies par la seule monarchie. Cette uniformité est obtenue par la contrainte (textes de loi adoptés en Parlement, proclamations royales ou injonctions épiscopales), mais également par la conviction. Pour cela, les souverains encouragent la diffusion de la religion royale réformée en mobilisant, développant et encadrant les instruments de la parole publique : imprimés, prêches, représentations théâtrales, chansons et impression de livres.Toutefois, dès les années 1530, l’accès du plus grand nombre aux Écritures fait naître dans le royaume non pas l’unité et le consensus autour du roi, mais une pluralité d’opinions dangereuse pour la stabilité du royaume. En effet, les livres, les prêches, les pièces de théâtre ou les ballades interprètent les textes religieux et la politique royale, non seulement de façon parfois divergente de ce que le monarque pouvait attendre, mais ils invitent également lecteurs et auditeurs à produire eux-mêmes une interprétation. Les sources judiciaires, les correspondances, les chroniques témoignent que ces medias font naître dans toutes les strates de la société anglaise des débats qui entraînent la constitution d’une pluralité d’opinions religieuses parfois antagonistes. Nous nous intéresserons plus particulièrement à l’un de ces débats : le processus politico-religieux mené par la monarchie est-il une « nouvelleté » ou, au contraire, une réforme, c’est-à-dire d’un retour au passé de l’Église primitive ?La pluralité des opinions religieuses apparaît très vite à la monarchie comme un ferment de sédition et de rébellion contre l’autorité royale. Le dissensus est alors pourchassé (adoption d’un Acte criminalisant la diversité d’opinion en 1539) et ses vecteurs, les médias, encore plus strictement encadrés. Les prédicateurs doivent être licenciés par la monarchie, les livres contrôlés par le conseil privé, les ballades et les pièces de théâtre surveillées. Malgré ce revirement royal, de nombreux Anglais, y compris au sein de l’Église d’Angleterre, font désormais de la pluralité des opinions religieuses un gage d’accès à la Vérité. Ils sont donc peu enclins à servir la politique d’uniformité voulue par la monarchie