L'artiste reenactor, la performance historique et la documentation visuelle

International audienceéchappées n°2 204 II — Territoires et archives 205 Dans la culture populaire, un reenactment 1 renvoie à la reconstitution d'une période historique précise. Les reenactors essaient de s'approcher le plus possible de la période visée par le costume, les outils, les meubles, le choix du lieu, les gestes, etc. Pour la vraisemblance, ils recherchent et exploitent des documents d'époque ou relatifs à une époque. Le terme est également employé en criminologie dans le cadre de reconstitutions de scènes de crime, ce qui correspond à un certain usage des clichés et des témoignages. Dans les arts visuels, et plus précisément en ce qui concerne les arts plastiques, le reenactment joue un rôle dans le renouvellement de l'approche historique de la performance. Le performeur choisit de faire re-vivre, de faire exister de nouveau au présent ce qui n'a existé qu'une fois, dans le passé. Cette démarche engage une réflexion sur la documentation ou l'archive. La documentation visuelle, composée pour l'essentiel de traces photographiques et vidéographiques, retiendra ici notre attention. La relation entre les documents originaux d'une performance et sa re-médiation (au présent et devant un public) sera questionnée. Le document ou l'archive ne tend-il pas à s'intercaler entre le passé (la performance qui a eu lieu), le présent (la performance en train de se faire) et le futur (ce qui va rester et pourra être réactivé) ? Le reenactment ne tend-il pas à contrarier la linéarité de l'histoire telle qu'elle est exposée au sein de la culture ? Pour en discuter, j'étudierai quatre démarches artistiques à l'égard du reenactment et de l'usage de la documentation : reenacter ses propres performances, reenacter des performances d'autres performeurs, proposer à d'autres de réinventer, et reenacter dans un monde virtuel. Artiste reenactor de ses propres performances : interaction des temporalités Lorsque l'artiste est reenactor de ses propres performances, il n'est pas utile a priori pour lui de s'appuyer sur la documentation préexistante. On peut partir de l'hypothèse qu'il n'a pas besoin d'être guidé. En tant qu'initiateur, il est en capacité de refaire sans médiatisation sauf, bien entendu, s'il est pris dans une reconstitution exacte (imitation) de son passé. Mais le peut-il vraiment ? N'est-ce pas une fausse idée que de croire que le passé peut être rejoué à l'identique ? L'actionniste viennois Hermann Nitsch a rejoué, 32 ans après, la 122ème action de « Orgies Mysteries Theatre » de 1973 au Wiener Burgtheater à Vienne en Autriche (le 19 nov. 2005) 2 (fig. 1). En regard de la performance initiale, on constate que le reenactment est la marque d'un renoncement avec les origines voire d'une rupture avec son programme esthétique préexistant 3