Voyageurs immobiles : la géographie idéelle des Kulung Rai du Népal

International audienceLes Kulung Rai forment une société fortement territorialisée. Environ la moitié des 30 ooo Kulung occupent leur vallée de référence-la vallée de l'Hongu, au pied de l'Everest-, où ils se répartissent en une dizaine de villages vivant d'agriculture en terrasse et d'un peu d'élevage, et ce depuis une ving-taine de générations, soit environ quatre à cinq siècles, si l'on se fonde sur leurs généalogies. À l'image des autres groupes Rai et Kirant Oes ensembles ethniques auxquels ils se rattachent), les Kulung se distinguent des autres populations dites« tribales» du centre et de l'ouest du Népal par une histoire singulière. Après leur intégration par conquête dans le royaume du Népal, à la fln du xvme siècle, ils se sont vus reconnaitre une certaine autonomie poli ti~ foncière sur leur ancien territoire de chasse et d'essartage, waltkha-dibuka, devenu dans le langage administratif népalais kipat 1 • Bien que progressive-ment réduite, jusqu'à sa suppression vers les années 1950, cette autonomie contribue à expliquer-ou à renforcer-le lien existant entre les Kulung et leur territoire ancestral, capkuQ: «le lieu des mânes». La manière dont ils se désignent vis-à-vis des étrangers témoigne d'ailleurs de cet ancrage territorial: jusqu'aux années 1960, seuls les chefs fonciers, talulcdar, étaient nommés Rai, tous les autres habitants s'appelant]imi, une déformation dejamin,le «sol» etjamindoe; «propriétaire foncier» (Schlemmer 201oa). Le terme même « kulung »a. en plus de son acception généalogique Oes descendants des deux frères fondateurs chemsi et Tamsi), un sens géographique, désignant alors l'ensemble des Rai de la vallée (soit les Kulung proprement dits et le groupe voisin des Nachering). Les Kulung aiment aussi à se nommer cartcha, «les enfants du territoire», un terme qui exprime un sentiment d'autochtonie. La vallée de l'Hongu reste aussi le territoire de référence pour les migrants kulung, qui l'ont quitté parfois depuis plusieurs générations. Cet ancrage territorial structure enfin le domaine religieux qui nous intéresse ici. Dans Purufdrt}ta 34, pp. :m-247-22