Le poison : un objet d'études pluridisciplinaire

National audienceDe nombreuses histoires du poison ont déjà été publiées. Ici est conduite une réflexion sur le poison considéré comme « objet-frontière » entre science, histoire et littérature. En effet : 1) - l’usage du poison relève du champ de l’Histoire des mentalités ; 3) - les poisons, dont la nature et les effets sont progressivement explorés au cours du temps, constituent de véritables « marqueurs » des étapes du passé - Antiquité, Moyen-Âge, Temps Modernes, période contemporaine ; 3) - la Littérature - en particulier le roman - restitue l’impact des poisons sur l’intelligence et le comportement de l’Homme. L’étude se limite à des toxiques d’origine naturelle - hétérosides, alcaloïdes, mycotoxines, venins, arsenic - et s’appuie sur quelques romans significatifs - d’aventure, sentimentaux, policiers ou historiques. Dès la mythologie grecque se manifeste un personnage type, celui de la « Grande Vénéneuse » - Médée, Circé, etc. L’Antiquité marque le début de l’utilisation du poison comme instrument de pouvoir : élimination des rivaux - Claude, Britannicus - et suicide des vaincus - Mithridate, Hannibal, Sophonisbe. L’éternelle ambigüité médicament-toxique est soulignée à la Renaissance par Paracelse, qui fournit aux toxicologues leur devise : Sola dosis venenum fecit. Le crime de poison, fréquemment imputé aux grandes familles des États italiens - les Médicis, les Borgia – constitue l’un des ressorts dramatiques de la pièce « Hamlet » de Shakespeare. C’est en vain que l’Homme tente de se prémunir contre les intoxications à l’aide des glossopètres, des bézoards, et autres thériaques. Sous le règne du Roi Soleil éclate l’« Affaire des Poisons » - implications de la Brinvilliers, la Voisin, la Montespan, etc. - dont le caractère sinistre marque fortement et durablement l’Histoire comme la Littérature. Au cours du XIXème siècle, les toxiques deviennent de véritables objets d’études scientifiques, relevant de plusieurs disciplines - autre aspect d’un « objet frontière ». Leur détection devient possible grâce à l’émergence de la chimie analytique et la science s’invite au prétoire - expertises d’Orfila, de Stas, etc. Claude Bernard utilise les toxiques comme de véritables « réactifs de la vie ». Tandis que l’exploration des empires coloniaux fait découvrir des poisons exotiques, les grandes toxicomanies naissent et s’étendent en Occident. Toujours au XIXème siècle apparaît le roman « toxicologique ». En s’inspirant de faits divers - affaires Lafarge, Jegado, « Sally arsenic », etc. -, les écrivains créent - des personnages inoubliables d’empoisonneuses - comme la Madame de Villefort du Comte de Monte-Cristo. La « Grande Vénéneuse » est plus que jamais présente dans les esprits.Au XXème siècle, les études structurales et les synthèses de poisons se multiplient. La Première Guerre Mondiale voit apparaître l’usage des gaz de combat, avant que la prohibition américaine ne provoque des intoxications par des alcools frelatés. En Littérature, les liens entre la femme et le toxique se perpétuent - cf. Thérèse Desqueyroux, etc. De nombreuses romancières - Agatha Christie, Dorothy Sayers, Anne Perry, etc. -, qui s’affirment comme les reines du « polar » contemporain, utilisent le poison dans leurs intrigues - autre lien noué entre la femme et le toxique. Les romans historiques se multiplient, exploitant la même veine. Enfin, les progrès de la médecine légale ont récemment permis d’éclairer certaines intoxications criminelles du passé