La Lunxhëri : émigration et frontière ethnique en Albanie du Sud

Tout comme les régions situées au sud de la frontière gréco-albanaise actuelle, le district de Gjirokaster a connu au XIXe siècle et jusqu'à la Seconde Guerre mondiale une forte émigration vers Istanbul et l'Egypte, puis vers Athènes et l'Amérique. A partir de l'analyse de généalogies et d'histoires familiales recueillies dans la Lunxheri, un groupe de villages dans la montagne du même nom en face de la ville de Gjirokaster, cet article s'attache dans un premier temps à illustrer les formes et les modalités de cette émigration, appelée en albanais kurbet. Les Lunxhotes, chrétiens orthodoxes et albanophones, pratiquaient une émigration masculine et temporaire vers Istanbul, où ils étaient en majorité bouchers et jardiniers. A partir de la Première Guerre mondiale, cette émigration se réoriente vers la Grèce et l'Amérique, et prend plus souvent un caractère permanent. Dans une deuxième partie sont analysées les conséquences de cette émigration sur la frontière ethnique entre Grecs et Albanais : la Lunxheri a produit en effet dans le contexte de l'émigration aussi bien des partisans de l'Epire du Nord que des nationalistes albanais, et les histoires familiales révèlent de nombreux passages de frontière, dans les deux sens. Enfin, une troisième partie cherche à montrer dans quelle mesure les réseaux et souvenirs de cette ancienne émigration sont aujourd'hui réactivés dans le cadre de l'émigration massive des Albanais vers la Grèce, et alimentent les représentations et les pratiques de l'émigration actuelle des Lunxhotes