Topologie des passions. Les Caractères des passions de Marin Cureau de la Chambre

International audienceCet article s'attache à la place variable assignée à la vie publique dans la réflexion sur les passions au XVIIe siècle, à partir des Caractères des passions de Cureau de la Chambre (1640-52). Cette œuvre en marge des grands récits de la naissance du sujet à l'âge classique se distingue à la fois du modèle cognitif cartésien d'une volonté spectatrice des relations du corps et de l'âme, et du paradigme augustinien propre aux moralistes de passions reproduisant entre elles dans le for intérieur les pratiques de dis/simulation de la " société de cour ". La définition par Cureau de la Chambre des passions comme langage naturel n'intervient pas seulement sur le mode sémiotique d'une physiognomonie des passions, ni sur le mode sociologique de la convention culturelle, ni sur le mode rhétorique de la manipulation générale des affects : elle apparaît dès le plan anthropologique du fonds humain archaïque qui institue les émotions en appels à autrui. Le style même du traité, soumis à une allégorie anthropomorphique généralisée des passions, loin d'être un ornement allégorique gratuit ou un paralogisme, interdit la compartimentation entre intériorité et intersubjectivité qui menace l'abstraction philosophique. Si par la raison le sujet accède à l'universalité du cogito, par les émotions il joint avec Cureau une communauté des êtres affectés antérieure non seulement à la constitution du sujet, mais à l'unité de la personne. Tout en restant en deçà du cartésianisme par l'incapacité à fonder une philosophie de la conscience, ces traités tissent des ponts avec une histoire ultérieure des émotions qui réintègre l'altérité dans le for intérieur