DECOUPAGES NARRATIFS : LA PRODUCTION DU SAVOIR ET SA DECONSTRUCTION DANS LE FILM NOIR HOLLYWOODIEN CLASSIQUE DE CATEGORIE B

International audienceLes théories du cinéma classique hollywoodien pensent le montage en termes de raccords et de continuité. Elles masquent un parti pris idéologique fort que la recherche américaine a étudié en profondeur depuis les années 1960, fondé sur la transparence formelle et l’adhésion du spectateur à un discours indiscernable. Mais ces théories dissimulent aussi un déni : celui du montage comme puissance de discontinuité, de disruption et de soustraction. A la place du montage pensé comme raccord et suture, le monteur Walter Murch a proposé une conception fondée sur la mécanique de l’œil humain. Il faut, dit-il, que dans un film les coupes soient aussi naturelles qu’un œil qui se ferme et s’ouvre et qu’elles coïncident avec le battement de la paupière. Le montage assigne donc au spectateur une position fixe : on fait correspondre de force son regard à celui du film par le battement artificiel de la coupe. En mettant en ordre la continuité filmique, le découpage fabrique un discours qui est implicitement un discours de vérité en vertu de la position assignée au spectateur.La théorie de Murch suggère la possibilité d’un découpage qui mettrait en crise la production de la vérité dès lors qu’on supprimerait la correspondance entre les battements de la coupe et de la paupière humaine. De tels découpages ont vu le jour dans les films B à Hollywood. Leur montage heurté produit un décalage entre le découpage et le battement de la paupière, et en fait des objets narratifs à double tranchant, qui participent de la production d’un savoir de vérité mais le mettent en crise dans le même temps.Nous esquissons, autour des concepts de rythme, de découpage et de syncope, une théorie des modes de subversion du discours de vérité que déploie cette production. A partir des pratiques de découpage d’Anthony Mann, Alfred Werker et Joseph H. Lewis, nous proposerons de comprendre la manière dont la production B travaille et subvertit, de l’intérieur, la production d’un savoir et d’un discours de vérité