La grammaticalisation au niveau du paradigme: de la pragmatique à la sémantique

International audienceL'un des procédés majeurs par lequel se crée ou se recrée la grammaire a été baptisé par A. Meillet, dans son article pionnier «L'évolution des formes grammaticales» (1912), du nom de grammaticalisation. La grammaticalisation est un processus qui conduit à transformer une expression lexicale en expression grammaticale ou fait acquérir à une expression déjà grammati-cale un statut plus grammatical. Le résultat synchronique de ce processus est illustré par Meillet (1912: 131) au moyen des différents emplois du verbe être en français moderne, classés en fonction du degré de grammaticalisation: (1) a. Je suis celui qui suis. b. Je suis chez moi. c. Je suis malade. d. Je suis parti. Etre est une expression lexicale pleine quand il exprime l'existence ontolo-gique (1a), alors qu'il fonctionne comme marqueur grammatical, exprimant le temps et l'aspect, dans (1d), l'emploi locatif et l'emploi en tant que verbe copule occupant une place intermédiaire entre ces deux pôles. Dans les premiers travaux ayant contribué au renouveau de la théorie de la grammaticalisation à partir des années quatre-vingt, le processus de grammaticalisation a été décrite, d'un point de vue sémantico-pragmatique, sur-tout en termes de perte ou, avec une expression plus imagée, comme une 'javellisation'. Ainsi, B. Heine et M. Reh (1984: 15) caractérisent la gramma-ticalisation comme «an evolution whereby linguistic units lose in semantic complexity, pragmatic significance, syntactic freedom, and phonetic subs-tance». De même, dans la monographie importante de C. Lehmann (1985