Justice entourée de Miséricorde et Information : Christine de Pizan, L’Epistre d’Othea

Parchemin, i + 144 f., environ 330 × 235 mm, 1 miniature à pleine pageParis pourrait être le fil rouge parcourant les six livres de ce recueil : deux d’entre eux traitent de la ville elle-même ; les quatre autres y ont été écrits et traduits ; ils y étaient en vogue. De nombreux recueils produits dans la capitale française rassemblent un ou plusieurs de ces textes. Il faut donc supposer que le commanditaire du présent volume était familier de Paris et de son milieu littéraire. Le manuscrit apparaît dans l’inventaire de la librairie de Bourgogne en 1467-1469 : s’agit-il d’un ouvrage offert à Philippe le Bon ou d’une commande ducale ? La chose est envisageable, ce manuscrit de luxe ayant été transcrit par Guillebert de Mets, qui fut au service de Jean sans Peur avant de travailler également pour son fils. Il est, en outre, bien plus lié encore à la personne de Guillebert puisqu’il contient un texte dont celui-ci est l’auteur, la fameuse Description de Paris qui le fit entrer dans l’historiographie française. Cette Description se compose de deux parties. Les dix-neuf premiers livres traitent de l’histoire de Paris. Pour les rédiger, Guillebert de Mets s’est largement inspiré des commentaires de Raoul de Presles ajoutés à sa traduction de la Cité de Dieu de saint Augustin (livre 5, chapitre xxv), un texte que le scribe connaissait bien pour l’avoir transcrit (Bruxelles, KBR, ms. 9006). Il a utilisé aussi des extraits du traité À toute la chevalerie , de Jean de Montreuil, l’un des auteurs représentés dans le recueil de Bruxelles. Dans la deuxième partie de sa Description , Guillebert fait oeuvre originale en dressant un portrait personnel et détaillé de la capitale française, un texte unique en son genre, précédé en outre d’un poème sur les lettres du nom de Paris, peut-être composé par Eustache Deschamps. Le Sénèque des quatre vertus , quant à lui, est la traduction pour Jean de Berry d’un ouvrage de morale didactique très répandu, la Formula honestae vitae de Martin de Braga. Son traducteur, Jean Courtecuisse, devint chancelier de l’université de Paris en 1419. Un « clerc de grand auctorité à Paris », pour le reste inconnu, traduisit en français le De arte loquendi et tacendi ( Traitié de parler et de taire ) d’Albertano da Brescia. Les deux autres textes sont de Christine de Pizan, que cite la Description de Paris et qui déploya une intense activité littéraire dans cette ville durant la première décennie du XV e siècle. Le recueil s’ouvre sur l’un des ouvrages les plus populaires de Christine, l’ Epistre d’Othéa , une longue lettre dans laquelle la déesse Othéa cherche, sur le mode allégorique, à instruire Hector de Troie, âgé d’une quinzaine d’années. En une centaine de quatrains – en vers – alternant avec de courts commentaires en prose, elle tente de lui inculquer le code de conduite qui sied au bon chevalier. Le texte fait intervenir bon nombre de personnifications de vertus et de vices et s’accorde bien avec le Sénèque des quatre vertus , un texte dont Christine s’est inspirée dans son Livre de Prudence et son Livre de la Prod’hommie de l’homme. Trois personnifications ont été figurées par l’un des Maîtres de Guillebert de Mets (celui que nous appelons le « Maître A ») au frontispice de l’ Epistre , qui est du reste la seule miniature du recueil. Au centre siège dame Justice sur son trône doré, un livre rouge sur les genoux et une épée à la main. Elle est flanquée à droite par Information, un clerc tonsuré en train d’écrire, à gauche par Miséricorde, un évêque mitré et crossé qui se penche vers elle pour la conseiller. À l’avant-plan, d’autres noms de vertus sont inscrits sur la construction qui fait office d’écran : Raison, Honneur et Vérité sur la paroi située à hauteur des voûtes ; Crémeur [Crainte] de Dieu, Loyauté, Conseil et Prudence sur le soubassement de gauche ; Équité, Hardement [Bravoure], Renommée et Diligence sur celui de droite. Comme l’a expliqué Christiane Raynaud, cet agencement permet des lectures multiples, largement indépendantes du texte lui ême : ainsi, Justice, couronnée par Honneur, pourrait faire appel à Crainte de Dieu, Loyauté, Conseil et Prudence pour suivre les conseils de Miséricorde et faire triompher Raison. Le frontispice est peint sur un faux bifolium. Son verso est une copie exacte du texte, justifié sur deux colonnes, tel qu’il apparaît dans le ms. IV 1114 de Bruxelles (f. 123), également de la main de Guillebert de Mets. On peut en déduire soit que les deux manuscrits furent copiés sur un même modèle, soit que l’un, en l’occurrence le présent recueil, a copié l’autre. La deuxième page du bifolium est vierge au recto, tandis que son verso comporte la suite des trois lignes de texte transcrites sous le frontispice et justifiées, comme lui, sur une colonne. Byvanck a fait remarquer, à juste titre, que les deux pages devaient à l’origine être collées l’une contre l’autre, comme l’attestent des traces matérielles. Un changement de programme fut donc décidé très tôt, qui fit passer la mise en page de deux à une colonne, sans doute dans un souci d’homogénéisation avec le reste du texte, peut-être aussi pour donner au livre cette mise en page aérée typique des manuscrits de la cour de Bourgogne. Le ms. IV 1114 comporte une miniature très proche de celle du recueil et qu’on peut attribuer au même enlumineur. Elle témoigne, avec d’autres oeuvres, comme le Décaméron de l’Arsenal (Paris, BNF, Ars., ms. 5070), de la collaboration étroite des Maîtres de Mets avec le copiste auquel ils doivent leur nom. Pour sceller cette alliance et apporter sa touche finale, c’est d’ailleurs Guillebert de Mets lui-même qui semble avoir ajouté les inscriptions figurant sur les miniatures des livres qu’il avait transcrits. C’est le cas ici comme dans le Décaméron, la Cité de Dieu de Gui Guilbaut (Bruxelles, KBR, mss 9005-9006) ou le Roman de Mélusine de Paris (BNF, Mss, fr. 12575).téléchargeabl