Le pèlerin affronte Envie et ses deux filles, Détraction et Trahison : Guillaume de Digulleville, Pèlerinages

Parchemin, 302 f., environ 317 × 228 mm, 117 miniaturesGuillaume de Digulleville, prieur de l’abbaye cistercienne de Chaalis, non loin de Senlis, a écrit, au milieu du xive siècle, trois pèlerinages allégoriques qui rencontrèrent un très grand succès : le Pèlerinage de la vie humaine , le Pèlerinage de l’âme et le Pèlerinage de Jésus-Christ . De cette « trilogie de pèlerinages », assez didactique pour être accessible à un public très large, quatre-vingt-trois exemplaires en français sont encore conservés. Dans le premier pèlerinage, le lecteur est mené par le personnage principal, un pèlerin naïf, tout au long d’une vie parsemée de tentations et de soucis, jusqu’à la Jérusalem céleste. Dans le deuxième, l’auteur disserte longuement sur les tribulations de l’âme après la mort. Enfin, dans le troisième pèlerinage, la vie du Christ est présentée comme l’unique véritable modèle que le pèlerin idéal doit suivre. Écrit par différents copistes, cet exemplaire voit le jour vers 1400-1410, dans le Nord de la France, peut-être dans l’ancien comté d’Artois. Grâce à son blason, on peut identifier comme un membre de la lignée des comtes de Guines le moine bénédictin représenté sur la dernière miniature en adoration devant la Vierge à l’Enfant . Les nombreuses illustrations du manuscrit correspondent en partie à la tradition concernant ce texte, mais cet exemplaire, un des plus importants manuscrits pré-eyckiens, se démarque par son originalité de toutes les copies existantes. La plupart de ses cent dix-sept miniatures couvrent la largeur d’une ou deux colonnes. On note deux miniatures à pleine page, placées en vis-à-vis sur un bifolio inséré (f. 210 v o -211), qui représentent la Vierge sur un trône et le Christ bénissant. Quant au fond doré terne d’une dizaine de miniatures, il semble être le résultat d’une intervention tardive qui a pu être mise en relation avec un paiement fait en 1498 au relieur brugeois Antoine de Gavere. Les zones détériorées de ces fonds ont d’ailleurs, dans plusieurs cas, été recouvertes d’une peinture métallique dorée. Ce codex , qui fut relié plus d’une fois, a fait l’objet d’un traitement de conservation en 2001. L’enluminure du manuscrit est probablement l’oeuvre de deux artistes, bien qu’il soit difficile de distinguer précisément la contribution de chacun d’eux. Dans les miniatures figurant les mésaventures rencontrées par le pèlerin sur sa route, les figures, grandes et statiques, contrastent avec le fond décoré, de façon archaïque, de formes géométriques bleues, rouges ou oranges. Le personnage principal est reconnaissable à sa bure blanche, son chapelet rouge, son chapeau et son bourdon. Plus loin dans le manuscrit (à partir du f. 145), le pèlerin porte un chapeau noir et un manteau bleu sur une robe à capuchon rouge et son ange gardien s’accroche à son dos. Les scènes les plus fortes sont sans aucun doute celles qui représentent la souffrance humaine en enfer (f. 149, 150 v o , 156 v o , 158), où le miniaturiste donne libre cours à son imagination. Dans un style nerveux et sommaire, caractérisé par des coups de pinceau bien marqués combinés à un coloris vert grisâtre, il jette sur le parchemin de façon rudimentaire des corps entassés et toute une série de visages grimaçants. Ces miniatures, qui créent une atmosphère angoissante bien conforme au côté macabre du texte, peuvent être considérées comme des exemples précoces du réalisme cru dans l’art de la miniature aux alentours de 1400. La miniature du folio 150 v o illustre de façon caricaturale l’idée qu’en enfer la souffrance n’épargne aucune des âmes des damnés, qu’on voit suspendues à une potence sous la forme de cadavres nus, comme des animaux sortis de l’abattoir. Des crochets de métal noir transpercent les corps, tandis qu’une mer de feu lèche leurs corps en les colorant peu à peu de rouge. Si un grand nombre de personnages sont pendus par la langue, c’est par allusion aux diffamations et aux blasphèmes dont on les punit. L’angoisse et la souffrance inhumaine qu’endurent les âmes se lisent sur les visages figés dans un cri et leur impuissance se manifeste dans les corps crispés, les doigts grands ouverts : tout rappelle qu’en enfer le diable est le maître. On le voit d’ailleurs sur la gauche, qui traverse le cadre pour pousser les corps à l’aide d’une longue fourche. De telles images ont sans aucun doute impressionné profondément les lecteurs. La dernière partie de ce manuscrit regroupe des scènes du Nouveau Testament, également marquées par des physionomies expressives et un naturalisme notable dans la façon de peindre des personnages typés avec justesse.téléchargeabl