Écosystèmes microbiens des laits crus : Un trésor et un challenge pour le fromager

Les premières traces de la fabrication de fromages en Europe sont aujourd’hui datées du 6e millénaire avant JC (Salque et al., 2012). Jusqu’à Pasteur à la fin du 19e siècle, tous les fromages sont fabriqués à partir de lait cru. Dans une grande partie du monde, ces pratiques ancestrales demeurent. Aujourd’hui en France, 15% de nos fromages seulement sont encore produits à partir de lait cru et parmi eux plusieurs fleurons de notre gastronomie. Les enzymes clés impliquées dans la fabrication d’un fromage et dans le processus d’affinage sont apportées par les microorganismes, notamment pour les étapes d’acidification et de genèse de composés d’arômes à partir des protéines et des lipides du lait. Ainsi la richesse organoleptique d’un fromage est directement liée à la biodiversité de l’écosystème microbien en action. Or cet écosystème a deux origines principales : i) la flore microbienne intrinsèque du lait cru. En effet, compte tenu de sa richesse en eau et en nutriments, le lait initialement stérile se contamine rapidement avec les flores microbiennes environnantes (animal, ferme, cuves et outils). Longtemps cette flore intrinsèque a été la source exclusive des microorganismes impliqués dans la transformation en fromage. Le challenge du fromager consistait à en maîtriser la variabilité, et à limiter la présence et le développement des germes indésirables ; ii) les levains ajoutés par l’homme, sélectionnés depuis le début du 19e siècle dans une logique de simplification et de standardisation. Il est à noter que la proportion de ces deux origines est éminemment variable d’une situation, ou d’un fromage à l’autre, selon les traitements d’épuration appliqués au lait avant fabrication. La biologie moléculaire a permis des avancées majeures quant à la composition des écosystèmes microbiens naturels du lait cru, à leur variabilité, à leur dynamique dans le temps, à leur rôle dans la qualité organoleptique, mais a montré aussi leur appauvrissement en quantité et en qualité dans les laits crus actuels. Elle ouvre la voie à une prise de conscience concernant la biopréservation de tout ce potentiel microbien et sa maitrise raisonnée. En effet, outre la diversification des goûts et le potentiel d’innovation associé, la consommation régulière de microorganismes aussi diversifiés pourrait avoir un rôle intéressant pour notre santé