Relations sensibles à la terre et émancipation des femmes russes : les jardins en contexte autoritaire

International audienceDans cette communication, je reviens sur l’action des femmes dans les jardins collectifs que j’ai étudiés à Kazan (en Russie). Je propose une analyse réflexive sur la capacité des femmes russes à se saisir du jardin pour produire des formes de résistance à l’échelle locale. Mon propos se fonde sur des enquêtes qualitatives et photographiques réalisées dans le cadre de ma thèse entre 2014 et 2019, puis des entretiens à distance pendant la pandémie du covid et la guerre en Ukraine. En s’appuyant sur les travaux féministes et écologistes traitant des relations entre genre et environnement (Larrère, 2015), il s’agira d’abord de montrer que le rapport sensible des femmes à la terre va au-delà d’une assignation patriarcale à une activité domestique. Dans un contexte russe où les jardins sont très présents dans le quotidien depuis la période soviétique, ces parcelles apparaissent comme des espaces de liberté dans lesquels les femmes sont majoritaires (elles représentent 74% de mes enquêtées). En jardinant, les femmes russes transmettent un savoir-faire agricole, des connaissances agroécologiques et plus largement une manière de prendre soin de l’environnement et des autres. Elles développent un rapport intime et sensible à la nature qui favorise la réalisation de soi, pour des populations souvent précaires. Ces pratiques de jardinage, profondément sensorielles, induisent des processus d’empowerment, au cours desquels les jardinières deviennent des actrices centrales de la société civile. À Kazan, ces formes d’émancipation s’observent notamment dans les cas de conflits pour la protection des jardins, où plusieurs femmes sont devenues des figures de résistance. Cependant, ces émancipations sont aujourd’hui fortement menacées par le pouvoir russe, fragilisant la position des femmes. Cette communication revient alors sur les caractéristiques de ces jardinières-résistantes, sur les pratiques sensorielles, les modes d'habiter et les formes de résistance qu'elles promeuvent, tout en questionnant leur capacité à s'opposer à un système autoritaire de plus en plus dur