L'art de l'intime: L'intimité du vivant saisie par l'art

International audienceDepuis les années 90, les pratiques de la biologie cellulaire et du génie génétique fascinent un nombre croissant d’artistes pour qui les laboratoires de recherche deviennent de singuliers ateliers d’où émergent d’inédites micro-sculptures vivantes. En effet, au cœur même de la cellule, là où la vie ne semble plus avoir de secret, ceux qu’il est convenu d’appeler les bio-artistes, manipulent et transforment les systèmes vivants pour exposer de minuscules fragments de vie partielle. Il en va ainsi de Julia Reodika, d’Orlan et de Chrissy Conan qui exposent des objets hybrides, vivants et charnels à partir de leurs propres cellules. Bien que protéiforme, cette mouvance contemporaine que nous nommons l’art biotechnologique présente des entités vivantes qui interrogent l’identité individuelle et la présence d’un corps unique, autonome et identifiable. Des micro-organismes en développement dans des bains de nutriments prennent forme techniquement hors du corps et apparaissent en plein jour sous la transparence des tubes à essais, des boîtes de Pétri, des bioréacteurs ou des incubateurs. Dès lors, les cellules somatiques n’échappent plus aux contrôles des appareils qui permettent leur déploiement in vitro. La présence obscène -celle qui occupe littéralement le devant de la scène- des fragments prélevés hors du corps, impose une proximité avec un microcosme organique qui, s’il n’est pas étranger à la sphère scientifique ne nous est pas familier dans le monde de l’art. Les hymens reconstitués de Julia Reodika, le caviar d’ovules de Chrissy Conan ou les cellules dermiques hybridées d’Orlan sont autant de formes d’extension technique du vivant qui témoignent d’une perception objective et rationnelle du corps. Forme technique de la vie, la cellule, n’est qu’une figure transférable qui peut se détacher du corps et intégrer d’autres formes vivantes. Lorsque les artistes parviennent à substituer sans dommage des morceaux corporels à d’autres, le corps n’est plus qu’un objet, un réservoir de cellules ré-animées par le seul fait de la technique. Que reste-t-il alors de la frontière entre soi et l’autre, quand l’art viole les mécanismes les plus secrets et les plus profonds d’un corps qui se morcelle pour mettre au monde de fragiles et provisoires altérités biotechniques? Réduits à la transparence sous l’œil du microscope, les systèmes vivants deviennent des objets d’exhibition qui font fi de la sphère individuelle de l’intime. Nous démontrerons à partir de quelques exemples d’œuvres biotechnologiques, que cette production d’artefacts vivants issus de ce que le corps secrète à l’abri des regards, souscrit à une sorte d’exigence de visibilité omniprésente dans notre société, visibilité qui fait écho à la fascination aveugle que la science exerce sur certains artistes