Rapports individués aux prescriptions visant la performance collective : les déterminants sensibles de l’activité des joueurs d’une équipe de sport collectif de haut niveau

Nos réflexions sur le collectif émanent d’une recherche réalisée en Volley-ball (Récopé, & al., 2019) qui s’est prolongée en Football. Le Volley-ball est un sport collectif où le ballon est obligatoirement joué de volée. L’enjeu consiste à provoquer la rupture de l’échange au plus tôt et sur chaque renvoi (Récopé, 1996). Remporter cet enjeu suppose de la part de tous les joueurs, quel que soit leur poste, une intense implication défensive : avant d’espérer provoquer la rupture au détriment de l’équipe adverse, il s’agit tout d’abord de l’éviter. Malgré la prégnance de l'enjeu défensif et des injonctions insistantes des entraîneurs sur son importance, nous avons constaté, de manière récurrente, des différences comportementales d’implication défensive manifestées par des volleyeurs d’équipes nationales. Ces constats nous ont conduits à questionner la manière dont les joueurs s'engagent dans ce que nous nommons en première approximation « l’activité collective ». Ces différences sont d’autant plus surprenantes que nous avions affaire à un collectif constitué, composé de joueurs de haut niveau ayant l’habitude d’évoluer ensemble, inscrits dans un système de jeu particulier prescrit par leur entraîneur et partageant un objectif de performance collective.Ces différences interindividuelles nous ont conduits à appréhender la réalisation de la tâche collective à partir de l’étude de l’activité individuelle-sociale (Theureau, 2006) de ces volleyeurs en compétition internationale selon une approche énactive centrée sur le sensible et les normes propres d’activité. Cette approche repose sur une ontologie relationnelle qui postule un être sensible indissociablement cognitif, social, culturel, affectif et moteur ; c’est un être autonome, un agent, considéré comme un centre de perspective et d’activité qui assure une régulation normative de ses interactions avec l’environnement extérieur (Di Paolo, 2010). Les résultats de cette étude (Récopé et al., 2019) ont abouti par comparaison interindividuelle à l’identification de deux populations distinctes fortement contrastées. Nous avons conclu à l’existence de deux cohérences d'ensemble et identifié pour chaque population une norme d'activité prévalente, largement implicite, qui fonde sa cohérence. Il s’agit d’une norme relative à l’enjeu de rupture de l’échange pour les membres d’une population ; d’une norme centrée sur les rôles et fonctions à assumer au sein de son équipe pour les membres de l’autre population . L'identification de cette norme qui organise et oriente l'activité individuelle permet d’approcher une compréhension de l'activité comme une structure cohérente (Bedny, Karwowski, 2004) : elle contraint un horizon de significations sensibles, et donc les situations de l’acteur ainsi que les actions qu’il y a lieu d’y accomplir. Nos résultats soulignent ainsi qu’une population de joueurs de volley-ball de haut-niveau d’une même équipe, qui partagent un objectif sportif, n’ont pas les mêmes normes d’activité.Comment alors penser l’activité collective, l’articulation des activités individuelles-sociales, la coordination des joueurs ? Quels sont les leviers d’une construction collective lorsque l’activité de chaque joueur se rapporte à une norme propre ? En sport collectif, les entraineurs considèrent le plus souvent que l’organisation collective prescrite soigneusement préparée, mais aussi les consignes spécifiques sur ce qu'il y a lieu de faire selon le poste occupé dans telles ou telles circonstances, constituent un support de la performance collective et la référence de « l’activité collective ». Pourtant plusieurs travaux de recherche (Araújo, et al., 2015 ; Bourbousson, et al., 2008, 2014 ; De Keukelaere, et al., 2013) questionnent l’impact de ce genre de ressources sur l’activité collective effective dans des environnements dynamiques nécessitant pour les joueurs d’agir dans l’instant.Nous avons poursuivi notre étude du sensible et des normes en football, une pratique à très fort impact socioculturel. Nous nous sommes intéressés à l’activité individuelle-sociale des joueurs, en la rapportant à la prescription de l’entraineur concernant un moment identifié comme crucial pour la performance : les transitions défensives, c'est-à-dire lorsqu’une équipe s’efforce de reconquérir rapidement le ballon après en avoir perdu la possession (Héros, 2022).Le fait que le ballon soit joué au pied, donc jamais tenu, génère de très fréquentes pertes. Vogelbein, Nopp et Hökelmann (2014) montrent qu’un des facteurs les plus discriminants de la performance en football est la rapidité de récupération du ballon après l’avoir perdu, car elle augmente la probabilité de buts. L’efficacité collective lors des phases de transition défensive est fonction de la vitesse de réaction des joueurs et de l’intensité du pressing qu’ils assurent dès la perte du ballon sur les adversaires pour tenter de le récupérer ; l’objectif est de surprendre l’équipe adverse en perturbant instantanément l’organisation de son jeu. Les meilleures équipes seraient celles qui réussissent à récupérer la possession du ballon le plus vite possible (Vogelbein et al., Ibid. ; FIFA, 2015). Il est donc admis que tout se joue dans les quelques secondes suivant la perte du ballon (Mombaerts, 2008). Ceci conduit Gourcuff (2011) à affirmer qu’un travail essentiel des entraîneurs doit consister à obtenir de leur équipe qu’elle réduise le temps séparant la perte du ballon et l’action défensive visant à le récupérer. De fait, ceux-ci élaborent des stratégies et des plans de jeu stipulant ce que chacun des joueurs doit faire dans ces moments. Cependant, beaucoup signalent, comme en Volley-ball, une diversité d’implication de la part des joueurs et de ce fait un décalage entre leurs attentes et leurs prescriptions et les comportements de certains joueurs. Rencontrant un enjeu pratique et théorique, nous avons cherché à comprendre l’activité individuelle-sociale des joueurs de football lors des transitions défensives en questionnant leur rapport individué à la prescription