Coordination et Coopération des acteurs de la chaîne logistique pour un transport durable: les transitions une question d'échelle

National audienceA l’heure où les Etats engagent une politique volontariste pour la transition énergétique et écologique et que la stratégie nationale s’oriente vers la neutralité carbone, la mobilisation de toutes les parties prenantes pour le transport et la logistique est recherchée à travers une approche systémique et coordonnée. Ce projet de recherche a pour objectif de formaliser des recommandations à destination des entreprises, des acteurs publics à l’échelle territoriale et à l’échelle de l’organisation pour entraîner, favoriser et accompagner les différents acteurs vers une réduction des émissions de CO2. Les acteurs économiques, publics, de la société civile (collectifs, associations) ont été sollicités comme terrains d’enquête qualitative et quantitative agissant dans le cadre de la filière de la logistique et du transport routier de marchandises. En l’occurrence, la France présente un terrain d’étude particulièrement adapté à travers le déploiement par l’ADEME du programme EVE (Engagements volontaires pour l’Environnement des acteurs de la Chaîne logistique et du transport de voyageurs). Il repose sur un programme volontaire de décarbonation pour le transport durable ciblant 700 transporteurs, 200 chargeurs et 60 commissionnaires de transport. La difficulté de ce type d’action publique consiste à réunir les conditions de pérennisation des incitations au sein de l’écosystème formé par les acteurs de la chaîne logistique. Malgré les moyens importants qui ont été déployés sur la durée du programme (EVE 1 de 2019 à 2021 et EVE 2 de 2021 à 2023), comment ce dispositif volontaire à travers lequel différents acteurs sont en interaction, permet-il d’orienter les pratiques individuelles et collectives vers de nouvelles démarches vertueuses ? Quel niveau d’implication des acteurs principaux « Chargeurs » et « Prestataires de services logistiques (PSL) » est nécessaire pour établir une dynamique? Quels sont les facteurs de succès du dispositif engagé afin de faire évoluer les pratiques vers plus de durabilité et de résilience avec notamment l’accompagnement sur le terrain des entreprises ? C’est dans le cadre du programme de recherche CO2Log que les chercheurs tentent de répondre à ces différentes questions de recherche. Design/méthodologie Cette recherche mobilise la théorie néo-institutionnelle pour analyser les pressions institutionnelles perçues par les deux acteurs clés du programme volontaire : les chargeurs et les PSL. Ces deux acteurs sont influencés dans leur comportement par des facteurs modérateurs agissant sur le niveau de pressions perçues. Trois phases de travail ont été réalisées durant ce projet de recherche en vue d’apporter des recommandations d’ordre stratégique (notamment sur les modes de coopération, référentiels), pratique (instruments, actions) et méthodologique (montée en compétences pour et par les parties prenantes, facilitation du dialogue) : - EXPLORER ET ANALYSER par le biais d’une analyse qualitative les pressions institutionnelles sur les chargeurs et les prestataires de services logistiques entrainant des comportements vertueux et différentes formes de coopération entre parties prenantes, - APPROFONDIR par des études de cas l’impact des modes de coopérations et de collaborations entre chargeurs, transporteurs, commissionnaires et porteur de projet sur le niveau de performance environnementale, - SIMULER dans le temps les processus observés pour « scénariser » les évolutions possibles des relations d’interdépendances entre acteurs permettant d’enclencher la dynamique du système dans sa globalité. La construction d’un modèle reposant sur la théorie dynamique des systèmes a permis notamment d’identifier les variables d’action pour faire évoluer l’application du dispositif volontaire en place. Résultats Principaux Même si le transport reste un achat pour lequel le critère économique persiste comme décision finale, la pression simultanée des chargeurs (qui demandent des services verts) rend désormais les critères de décarbonation plus significatifs dans les décisions logistiques : les critères environnementaux se déploient progressivement dans les relations commerciales. Les chargeurs sont soumis à une pression croissante pour améliorer la durabilité de leurs chaînes d'approvisionnement. Cette pression vient de leurs clients, actionnaires et investisseurs, et des organisations non gouvernementales. Les chargeurs peuvent alors améliorer leurs performances environnementales en sélectionnant des PSL à faibles émissions. Cette prise de décision est rendue possible par le programme volontaire et peut inciter les acteurs à être plus transparents sur leurs performances et leurs émissions. Les motivations pour intégrer un programme volontaire de décarbonation s'alignent sur ces points : l'engagement volontaire et une meilleure communication (interne et externe) légitiment les actions portées dans la relation PSL/Chargeurs. Le programme volontaire de décarbonation rend visible les actions et facilite la communication à leur sujet. Quant aux freins associés à la collaboration pour la décarbonation, des freins internes sont liés aux ressources disponibles par rapport au temps nécessaire, notamment pour quantifier les progrès, mais aussi à la difficulté de convaincre les clients internes d'abandonner parfois les arbitrages économiques stricts et d'intégrer l'impact positif. Il existe également des freins intrinsèques au programme selon les interviewés : une portée nationale qui limite l'ambition des actions, la complexité de la mise en place de l'outil de calcul et l'évolution de ses versions. Enfin, une difficulté dans la création d'une communauté de pratique inter-entreprises sur ces thématiques, permettant d'échanger avec d'autres acteurs sur certains points durs du déploiement de la décarbonation, a été largement évoquée mais peu développée par les fédérations professionnelles. Des pratiques de décarbonation ont été largement observées parmi elles, le taux de chargement, l'optimisation des flux, les achats responsables et l'utilisation de véhicules propres. De plus, pour aller au-delà de leur performance environnementale, les résultats soulignent deux catégories de collaboration, horizontale et verticale. Certains projets collaboratifs liés à la stratégie de développement durable des chargeurs, souvent menés en partenariat avec des PSL, peuvent être menés, notamment sur des projets innovants tels que le transport de gaz liquéfié, l'organisation de boucles de transport, des systèmes permettant de systématiser l'utilisation de transports multimodaux. Des freins liés au partage de l'information subsistent. Un problème de « visibilité » de l'organisation en vue d'une réorganisation plus profonde est-elle liée à un manque de coordination entre acteurs ou à un risque de comportement opportuniste au sens de Williamson ? Certains éléments de réponse ont été identifiés lors de nos entretiens, notamment en fonction de la qualité des relations inter-organisationnelles entre Chargeur et PSL (durée de la relation, climat relationnel, taille des entreprises, fréquence des échanges, secteur d’activité) qui peuvent contribuer au développement d'une stratégie commune et partagée entre les chargeurs et les LSP/transporteurs