Le « quartier des lapidaires » à Chanhu-daro (Sindh, Pakistan): Spécialisation artisanale et organisation sociale dans un centre urbain majeur de l’âge du Bronze en Asie du sud

International audienceChanhu-daro fut, sans doute, l’un des plus grands centres de production et de distribution de parures de la civilisation de l’Indus, qui rayonna de 2500 à 1900 av. n.è. à la frontière du Moyen-Orient et du sous-continent indien. Depuis 2015, le site fait l’objet de fouilles extensives centrées sur l’étude des premiers développements de cette société complexe, conduites par la Mission Archéologique Française du Bassin de l’Indus (CNRS, UMR 7041-ArScAn / MEAE) en coopération avec le Département des Antiquités du Sindh. La découverte d’un vaste ensemble architectural en brique crue, dégagé sur près de 6500 m2, a renouvelé, de manière significative, notre connaissance de l’urbanisme planifié des premières cités de l’Indus, marqué, à Chanhu-daro, par une spécialisation fonctionnelle des différents secteurs de l’agglomération, révélant l’étendue et le caractère exceptionnel du « quartier des lapidaires » localisé au cœur du complexe urbain. Ce dernier a produit des dizaines de milliers de vestiges artisanaux contextualisés illustrant le processus de fabrication des perles et ornements en agate/cornaline, jaspe, stéatite, lapis-lazuli et autres pierres fines depuis la taille, la découpe etle préformage des différents matériaux jusqu’à la perforation ou encore le polissage des objets. La diversité des matières brutes travaillées, la complexité des techniques mises en œuvre, la variété des produits et des outillages, abordées par des études typo-technologiques et tracéologiques mais aussi la distribution des vestiges suggèrent une production massive, développée dans un temps relativement court au regard des données stratigraphiques, et peut-être gérée par une corporation d’artisans hautement spécialisés qui se répartissaient les différentes étapes de fabrication et s’adaptaient à chaque matériau travaillé avec des techniques extrêmement bien maîtrisées. La configuration du quartier, constitué d’îlots incluant des maisons d’artisans et des ateliers témoigne, en outre, d’une logique sociale de l’organisation spatiale traduisant l’existence d’une relation étroite entre zones de production, de cuisson, de stockage et de rejet. Des installations collectivespermettaient d’optimiser la cuisson des productions afin de répondre aux besoins constants d’exigence et d’adaptation caractéristiques d’un tel centre régional de fabrication et de distribution des parures. Les données collectées ouvrent des pistes de réflexion sur l’organisation sociale du travail, sur l’organisation économique et politique des communautés indusiennes avec une forme de pouvoir exercée sur, et probablement, par le contrôle du savoir-faire. L’utilisation de ressources provenant, le plus souvent, de régions très éloignées montre enfin la multiplicité des interactions régionales et supra-régionales qui tissent un réseau social de plus en plus complexe et créent un contexte favorable au développement de l’urbanisation durant les premiers siècles de la civilisation de l’Indus