De la « compétences artistique » à la « compétence scientifique ». Réflexions sur les catégorisations des pratiques culturelles

International audienceDe la « compétences artistique » à la « compétence scientifique ».Réflexions sur les catégorisations des pratiques culturellesLa sociologie de la culture française s’est encore peu intéressé à la culture scientifique – c’est-à-dire aux dimensions scientifiques du capital culturel que sont les pratiques et contenus liés aux sciences (musées, jeux, activités, productions écrites et audiovisuelles, etc.). Les outils théoriques et méthodologiques de la sociologie de la culture sont pourtant particulièrement heuristiques pour explorer les rapports aux sciences des individus et les processus de construction sociale du goût, des pratiques et des aspirations.L’analyse des rapports aux sciences peut par exemple s’appuyer sur le modèle des modes d’appropriations développé par la sociologie de la perception et de la réception des œuvres, qui distingue des dispositions esthétiques et des dispositions (éthico)-pratiques, chacune donnant lieu à des perceptions différenciées (Bourdieu, 1965 ; Lahire, 1993). Cette approche éclaire la répartition inégale de la « compétence artistique » (Bourdieu, 1968 ; 1971), « capacité à repérer une œuvre dans les espaces des œuvres actuelles et possibles » (Coavoux, 2012). Pourquoi ne pas considérer une « compétence scientifique », et des usages sociaux des sciences, sur le modèle des usages sociaux de la lecture catégorisés par G. Mauger et C. Poliak (1998) – lectures « de divertissement », « didactique », « de salut » et « esthète » ? Cette communication propose de réfléchir aux usages de ces catégories savantes devenues classiques en sociologie de la culture. Il s’agit d’abord de proposer un nouveau modèle, en montrant à partir d’une enquête empirique que les catégorisations des répertoires de pratiques lectorales et artistiques ont des équivalents pour les pratiques culturelles scientifiques. Ces dernières peuvent elles-aussi être qualifiées d’« esthétiques », de « pratiques », ou encore de « didactiques », « de salut » ou « de divertissement ». Ce renouvellement des catégories d’analyse permet dans un second temps d’interroger la porosité des catégories profanes et savantes, notamment pour ce qui concerne la notion d’usage « esthétique » des sciences – en particulier des mathématiques. Qu’impliquent les qualifications d’une pratique scientifique ou mathématique d’« esthétique », qu’elles relèvent d’une catégorisation profane (par exemple par des professionnels des sciences) ou d’une catégorisation savante (par des sociologues) ? Ce travail repose sur une enquête de terrain longitudinale menée entre 2013 et 2017 auprès d’enfants scolarisés dans un quartier populaire de Lyon. La communication s’appuiera sur les données obtenues dans le cadre de quatre années d’observation participante d’ateliers scientifiques hebdomadaires co-organisés par des enseignant·es et une association de vulgarisation scientifique locale (CM1-5e). Le matériau d’enquête comprend aussi des entretiens individuels avec une cinquantaine d’enfants rencontrés une première fois en fin de CM2 (2015) et une seconde fois en fin de 5e (2017). J’ai également interviewé une quinzaine d’adultes (familles des enfants, médiateur·trices scientifiques, enseignant·es). *Références Bourdieu P., dir. (1965). Un art moyen : essai sur les usages sociaux de la photographie, Paris, Les Éditions de Minuit.Bourdieu P. (1968). « Éléments d’une théorie sociologique de la perception artistique », Revue internationale des sciences sociales, 1968, XX(4): 639‑664.Bourdieu P. (1971), « Disposition esthétique et compétence artistique », Les Temps Modernes, 27(295): 1345‑1378.Coavoux S. (2012). « Compétence artistique, réception et démocratisation », Marges. Revue d’art contemporain, 15: 69‑80.Lahire B. (1993) La raison des plus faibles : rapport au travail, écritures domestiques et lectures en milieux populaires, Lille, Presses Universitaires du Septentrion.Mauger G. & Poliak C. (1998) « Les usages sociaux de la lecture », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 123(1) : 3‑24