Sortir du transcendantal. Heidegger et sa lecture de Schelling

Ce livre montre comment Heidegger, dans les années 1930, renverse puis abandonne définitivement le transcendantal dans sa conception de l’être, tout en soulignant le rôle majeur que joue sa lecture des Recherches philosophiques sur l’essence de la liberté humaine de Schelling dans cette évolution. Nous reprenons donc d’abord, de manière approfondie, les différents aspects de l’interprétation heideggerienne des Recherches lors du cours de 1936. C’est non seulement la pensée de l’être dynamique, partagé entre le fond et l’existant, qui intéresse Heidegger, mais aussi la conception schellingienne du mal. Or, contrairement à ce qui lui est souvent reproché, nous soutenons que Heidegger a développé une compréhension extrêmement fine et précise de ce qu’est le mal pour Schelling. La décision pour le bien et le mal signifie que l’homme doit investir sa liberté en s’engageant pleinement au sein du combat permanent entre le bien et le mal : contribuer à l’avènement du bien implique d’abord de lutter contre le mal. Nous mettons en évidence les échos – bien que demeurant souvent implicites – de la lecture heideggerienne de Schelling dans d’autres textes des années 1930, notamment dans Vom Ursprung des Kunstwerkes et Beiträge zur Philosophie (Vom Ereignis). Si, dans les Beiträge, Heidegger tente d’abord de conserver l’idée de possibilisation – déjà fortement renouvelée et détachée du transcendantal « classique » – en envisageant l’Ereignis comme un événement de possibilisation incluant en soi-même sa propre impossibilisation (à l’instar du Grund schellingien, qui peut toujours se révolter contre la réalité qu’il soutient), il finit par y renoncer complètement. A partir de la fin des années 1930, l’Ereignis est conçu comme un événement « im-possible », donc imprévisible, hors de tout horizon d’attente et de toute condition de possibilité. Les concepts centraux sont désormais ceux de la Zerklüftung (« fissuration »), l’Entzug (« retrait »), l’Unter-schied (« différence ») entre l’être le sans-être et non plus l’ontologische Differenz entre l’être et l’étant