Jules Romains ou la fragmentation comme mètis

La métaphore du « roman-fleuve » semble condamner le genre à la linéarité temporelle, et donc à une certaine étroitesse spatiale. On ne considère jamais qu’un endroit de l’espace à la fois. Dans Les Hommes de bonne volonté, Romains, au contraire, fragmente le temps en instants discontinus dont chacun est considéré dans la totalité de son étendue spatiale, de telle sorte que le roman-fleuve devient roman-crue. Pour autant, il n’est pas possible de représenter tout l’espace en un seul ensemble textuel, d’abord parce que le roman, si « démesuré » qu’il se veuille, est limité, et surtout parce que, même s’il se veut tabulaire dans sa conception, le roman reste la plupart du temps linéaire dans sa réception. Mais la fragmentation de l’espace revêt un autre sens que celle du temps : il s’agit d’une rhétorique de la pars pro toto. Pourtant, la multiplication des fragments semble mettre en doute la capacité (eucharistique) d’enveloppement du Fragment, qui, isolé, ne saurait contenir le Tout. La collection de fragments suggère la totalité de l’espace, mais sans la contenir. À la logique hypostatique de la synecdoque se substitue donc une logique monadique du puzzle. The metaphor of the novel as a river seems to condemn the genre to temporal linearity, and therefore to a certain spatial narrowness. Only one place in space is ever considered at a time. In Les Hommes de bonne volonté, on the other hand, Romains fragments time into discontinuous moments, each of which is considered in its entire spatial extent, so that the river of the novel bursts its banks. However, it is not possible to represent the whole of space in a single textual whole, firstly because the novel, no matter how "excessive" it is intended to be, is limited, and above all because, even if it is intended to be tabular in its conception, the novel remains for the most part linear in its reception. But the fragmentation of space has another meaning than that of time: it is a rhetoric of pars pro toto. Yet the multiplication of fragments seems to cast doubt on the (Eucharistic) enveloping capacity of the Fragment, which, isolated, cannot contain the Whole. The collection of fragments suggests the totality of space, but without containing it. The hypostatic logic of synecdoche is thus replaced by the monadic logic of the puzzle