Baudelaire, vies héroïques

Baudelaire biographe ? L’association entre un genre littéraire en plein essor au XIXe siècle, et le poète des Fleurs du mal paraît, de prime abord, incongrue. Baudelaire ne nous a pas habitués à des productions de cette nature. Dédaignant toute littérature populaire, du feuilleton au boulevard, il professait un souverain mépris pour – ou ironisait à propos de – ce qu’il nommait les «logogriphes en action » et autres discours inintelligibles, en vogue à l’époque. Pourtant, Baudelaire a répondu à sa façon à l’exigence contemporaine de connaître et reconnaître l’existence d’auteurs plus ou moins inconnus, aux voix plus ou moins tues, et a fait profession de véritable biographe à trois reprises au moins (Poe, Gautier, Delacroix). Les biographies baudelairiennes sont conduites par l’admiration, voire la vénération – encore que celle-ci ne se départisse jamais de sa lucidité. Ann Jefferson a bien montré en quoi Baudelaire n’était pas un biographe orthodoxe, et qu’il était possible de lire Les Fleurs du Mal, par exemple, comme une « mise en scène du drame biographique», qui ne serait pas une simple autobiographie. Sans qu’il soit question de reprendre son travail, j’aimerais revenir dans un premier temps sur les quelques biographies que Baudelaire a commises pour cerner les traits distinctifs de son approche, puis approfondir le pan qu’il consacre aux peintres plus particulièrement