L'ancien privilège de Bordeaux

Le privilège de Bordeaux, c'est-à-dire le pouvoir qu'eut la ville, jusqu'en 1776, d'opposer des restrictions à la descente des vins du haut et du moyen bassin de la Garonne, remonte au XIIIe siècle. Il n'est point l'effet d'une concession royale. Il apparaît à l'origine comme une situation de fait, due à l'habileté avec laquelle les bourgeois de Bordeaux surent étendre, dans l'application, la faculté que leur donnait leur statut communal de pourvoir eux-mêmes à la défense de leur marché. Avant la guerre de Cent Ans, les rois d'Angleterre évitèrent de donner leur assentiment à ces initiatives des Bordelais. Mais quand les pays qui en pâtissaient (ceux d' « au-dessus de Saint-Macaire ») purent être, au cours de la guerre de Cent Ans, et surtout après 1360, considérés comme « ennemis » et « rebelles » par le roi d'Angleterre, celui-ci approuva et confirma les prohibitions bordelaises, auxquelles il donna forme de privilège. Elles prenaient à ses yeux la valeur d'un moyen de représailles. On n'en est que plus surpris de voir le roi de France les confirmer à son tour quand il se fut définitivement rendu maître de Bordeaux en 1453. Et on ne s'étonne pas moins que, malgré les véhémentes protestations que renouvelèrent sans relâche les gens du haut pays, ce privilège n'ait été aboli qu'en 1776. Le « grand art » des Bordelais, comme l'écrit Turgot dans le préambule de l'édit d'abrogation, avait été de ne pas dépasser la limite au delà de laquelle l'exercice de leurs prérogatives eût rendu toute viticulture commerciale impossible dans le haut pays.Dion Roger. L'ancien privilège de Bordeaux. In: Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, tome 26, fascicule 4, 1955. pp. 223-236