Péché et sainteté dans l'Église pèlerine

En 1994 Jean-Paul II, pour préparer le prochain millénaire, envoie aux cardinaux un Pro-memoria qui contient un paragraphe sur Reconciliatio et poenitentia où il soutient que « l'Église est certainement sainte, comme nous professons dans le credo ; cependant elle est aussi pécheresse, non comme corps du Christ, mais comme communauté d'hommes pécheurs ». Il est utile d'esquisser quelques données fondamentales de ce problème, qui traverse toute l'histoire de l'église chrétienne. 1. Les données de la Tradition ancienne sont orientées vers la sainteté de l'Église comme une caractéristique eschatologique, vers laquelle l'Église tend, vivant une alternance de fidélité et de prostitution. 2. Un tournant se manifeste au IIIe siècle, après la fin de l'attente eschatologique, avec une référence nostalgique à l'Église des origines, influencée par l'idéal stoïcien de l'« état primordial ». 3. La conscience du péché ecclésial subit un procès de hiérarchisation à la suite de la féodalisation de la société et de l'Église. 4. La réforme de l'Église « sainte » devient, surtout après le XIVe siècle, le mot clé d'une lutte de plus en plus aiguë et violente. 5. Après la rupture de la foi au XVIe siècle, les princes s'engagent directement dans la réforme des églises, qui suscite une réaction très forte dans le catholicisme romain. 6. A partir des années trente s'achemine vers le dépassement de l'apologie et l'approfondissement de l'ecclésiologie. 7. Le péché dans l'Église est, après Journet et Mystici corporis, l'orientation catholique dominante. Cette conclusion est remise en question par la conscience nouvelle de la dimension sociale dans la culture et de la dimension communautaire de l'Église dans l'ecclésiologie. 8. Le tournant suscité par Jean XXIII et par Vatican II se ressent aussi dans notre problématique. 9. Les problèmes ouverts : péché de l'Église ? metanoia de l'Église ? Avec le concile et l'après-concile on a dénoué deux nœuds cruciaux : l'Église aussi peut (et doit) être considérée sujet de péché et la formule d'« église pécheresse » n'est pas contradictoire avec la sainteté de l'Église ni avec son indéfectibilité.Alberigo Giuseppe. Péché et sainteté dans l'Église pèlerine. In: Revue des Sciences Religieuses, tome 71, fascicule 2, 1997. pp. 233-252