Invention du récit : La « Brutiade » de Geoffroy de Monmouth (Historia regum Britanniae, § 6-22)

Even if Geoffrey of Monmouth's Historia regum Britanniae has been the subject of much attention by philologists, historians and folklorists, one can hardly say it has received a proper literary analysis. It is claimed here that, even from this point of view, this text is the result of a concerted project. The analysis of the first part of the Historia — the adventures of Brutus, the eponymous founder of the Britons — proves that Geoffrey consciously set out to integrate successively the three « matieres » of Rome (the ancient epic), of France (the « chanson de geste ») and of the Britons (the celtic marvellous myths and legends), in order to accomplish what could be called a « comprehensive narrative ». The aim of such an enterprise, addressed to a public that is not exclusively clerical, is to replace the kind of writing inherited from the High Middle Ages, directed towards an audience whose expectation were exclusively eschatological, with the secularised expression of a new experience of time.Si l'Historia regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth a surabondamment sollicité l'attention des philologues, des historiens et des folkloristes, on ne peut guère dire qu'elle ait jusqu'alors fait l'objet d'approches proprement littéraires. Ce que l'on essaie de montrer ici, c'est que l'ouvrage répond, sur ce plan-là aussi, à un projet très concerté. L'analyse de la première partie de l'Historia, soit les aventures de Brutus, éponyme du peuple breton, prouve que Geoffroy s'est sciemment employé à y intégrer successivement les valeurs des trois « matières », de Rome (l'épopée antique), de France (la chanson de geste) et de Bretagne (le merveilleux celtique), en vue de mettre en œuvre ce que l'on pourrait qualifier de « récit total ». L'enjeu d'une telle entreprise, destinée à un public non exclusivement clérical, est de substituer à une écriture, celle du haut moyen âge, orientée vers un horizon d'attente exclusivement eschatologique, l'inscription sécularisée d'une nouvelle expérience du temps.Tilliette Jean-Yves. Invention du récit : La « Brutiade » de Geoffroy de Monmouth (Historia regum Britanniae, § 6-22). In: Cahiers de civilisation médiévale, 39e année (n°155), Juillet-septembre 1996. pp. 217-233