Bilan hydrologique d'un système aquifère surexploité en région désertique : estimation de la recharge et paléorecharge par couplage d'approches satellitaires et géochimiques

International audiencePartagé entre la Jordanie et l'Arabie saoudite, le système aquifère du Saq-Ram (520 000 km²) constitue l'une des principales ressources en eau de la péninsule arabique. Largement exploité depuis les années 80 pour soutenir le développement d'une agriculture irriguée intensive, cet aquifère multicouche, principalement gréseux, est aujourd'hui un des systèmes aquifères les plus surexploités au monde, caractérisé par des cônes de rabattement de plusieurs centaines de kilomètres. Afin d'évaluer la durabilité de cette ressource aquifère, le projet WAO (Past, present and future Water resources in Al-Ula Oasis) combine méthodes satellitaires et géochimiques pour contraindre les différentes composantes du bilan hydrique de l'hydrosystème : prélèvements, recharge-actuelle et passée-, retour d'irrigation… A l'échelle régionale, les données satellitaires gravimétriques (GRACE) ont permis de contraindre les variations du stock d'eau souterraine pour la période 2002-2019. En s'appuyant sur une estimation des prélèvements des eaux souterraines, de la recharge artificielle (principalement liée aux excédents d'irrigation) et des sorties naturelles du système, le calcul du bilan hydrologique dérivé de GRACE donne une estimation moyenne de la recharge naturelle sur les deux dernières décennies de 1,6 ± 1,2 mm.an-1 pour l'ensemble du Saq-Ram, correspondant à 2,9 ± 2,2% de la pluviométrie moyenne interannuelle (i.e. 55 mm.an-1). Ce taux de recharge est nettement supérieur à ceux d'aquifères arides sahariens similaires (i.e. 1,7 ± 1,2% des pluies), obtenus avec la même approche gravimétrique. Une explication plausible est que les plateaux volcaniques qui couvrent une surface conséquente du système aquifère du Saq-Ram favorisent l'infiltration des eaux pluviales. Ne couvrant que 8 % du domaine du Saq-Ram, ces massifs basaltiques contribueraient à environ 40 % de la recharge naturelle totale. Pour conforter/confronter ces résultats obtenus à l'échelle du système Saq-Ram, une étude a été menée plus localement sur une zone de recharge située dans la région d'Al Ula. Un large panel d'outils géochimiques (majeurs, gaz anthropiques (CFCs, SF 6) et nobles (Ne, Ar)) et isotopiques (dD, d 18 O, 14 C, 36 Cl, 87 Sr/ 86 Sr) a été déployé pour déterminer l'origine (naturelle ou artificielle) et l'âge de la recharge de l'aquifère du Saq-Ram et des aquifères alluviaux de la région. Si les traceurs comme les CFCs et SF 6 ou 36 Cl indiquent une recharge active pour les aquifères alluviaux, les traces d'une recharge récente du Saq-Ram dans cette zone restent peu évidentes, d'autant plus que les retours d'irrigation, aisément tracés par l'augmentation de la salinité, sont bien visibles dans les eaux souterraines prélevées au droit des zones agricoles. Les seules traces de recharge récente sont données par la composition isotopique des eaux des sources qui sourdent au contact entre les grès et le plateau basaltique qui surplombe la vallée d'Al Ula. Leur composition est marquée par un mélange entre les précipitations actuelles et les eaux du Saq-Ram dont la signature est significativement appauvrie. Cette signature très distincte des eaux du Saq-Ram indique une recharge lors de périodes caractérisées par un régime de précipitations distinct de l'actuel. La présence de 14 C dans tous les échantillons et la relative constance du rapport (36 Cl/Cl), preuve de l'absence de décroissance significative de ce radionucléide, permettent de restreindre cette recharge très probablement à la période humide africaine holocène