La colonialité comme catastrophe métaphysique et le concept de «violence absolue » dans la pensée de Franz Fanon

Qu’est-ce-que Fanon peut bien vouloir dire quand il évoque la notion de « violence absolue » en tant que condition fondamentale de la colonialité ? S’agit-il simplement d’une violence radicale, extrême, voire omniprésente? Ou alors, sommes-nous face à la considération de la violence comme fondement génétique du rapport colonial ? En s’appuyant sur la perspective de Maldonado Torres lorsqu’il affirme la portée métaphysique de la catastrophe coloniale, l’objectif de notre présentation sera de montrer comment l’idée de violence absolue – ou encore « violence atmosphérique » – exposée dans les Damnés de la terre correspond aux conditions de possibilités du régime ontologique colonial. Dans ce but, il nous faudra d’abord comprendre la distance prise par Fanon à l’égard de la compréhension hégélienne de la violence, c'est-à-dire, de la considération de celle-ci comme issue d’une dialectique entre deux consciences en quête de la reconnaissance mutuelle. Si il n’y a pas – contrairement à ce qu’il se passe dans la dialectique du maître et de l’esclave – de « lutte ouverte » entre le colon et le colonisé, c’est justement par le caractère absolu de la violence, lequel empêche d’emblée toute symétrie originaire entre les sujets impliqués. Ensuite, il apparait nécessaire de montrer comment la pensée du Martiniquais noue clinique et politique dans une même réflexion qui trouve dans la violence, non seulement l’élément où se déploie la relation entre le colon et le colonisé, mais aussi le fondement du rapport que ce dernier entretien avec soi-même. Comme corolaire de notre analyse, nous montrerons l’impact de cette perspective dans la compréhension de la violence révolutionnaire. Bien au-delà de la revendication de la lutte armée, et du débat concernant la fonction instrumentale de celle-ci, la pensée de Fanon expose la manière dont la violence est impliquée dans le processus de subjectivation des acteurs de la lutte émancipatoire. Conçue comme la « médiation réelle » du rapport colonial, la violence ne sera pas simplement un moyen parmi d’autres au cours des luttes de libération ; mais avant tout, et de manière bien plus élémentaire, le milieu vital où s’organise et se développe toute praxis anticoloniale