« Se protéger ou périr »

Cet article propose une analyse de la résistance et de l’adaptation des militants des ONG de défense des droits humains et des journalistes indépendants à la progressive souverainisation de l’Internet en Russie. Nous cherchons à comprendre comment évoluent les représentations et les pratiques de sécurité numérique de ces acteurs, ainsi que le rôle joué dans ces redéfinitions par les experts en sécurité numérique. Nous montrerons comment et en quoi l’écosystème des formations en sécurité numérique tel qu’il s’est formé depuis les années 2010 se trouve perturbé sous l’effet dissociatif des mesures stigmatisantes et répressives des autorités russes. Dépassant leur attitude ordinaire vis-à-vis de la sécurité (dont l’extrême se résume par un « je n’ai rien à cacher ») ces militants, aidés par leurs formateurs, sont amenés à une prise de conscience, moyennant une série d’incidents parfois traumatisants, d’un danger plus réel que jamais émanant des autorités russes. Face à de nouveaux défis, notamment liés aux classements stigmatisants en tant qu’ « agent de l’étranger » ou « organisation indésirable », ainsi qu’à l’exil massif, les pratiques de sécurité se réorganisent, des outils autrefois considérés comme fiables sont mis en doute. Des débats, quant à l’anonymat et au recueil de données, animent des communautés en voie de reconstitution.This article proposes an analysis of the resistance and adaptation of human rights NGO activists and independent journalists to the progressive sovereignization of the Internet in Russia. We try to understand how the representations and practices of digital security of these actors are evolving, as well as the role played in these by digital security « experts ». We will show how and in which way the ecosystem of digital security trainings as it has been formed since the 2010s is being disrupted under the dissociative effect of the stigmatizing and repressive measures of the Russian authorities. Overcoming their ordinary attitude towards security (the ultimate one being « I have nothing to hide »), these activists, helped by their trainers, are becoming aware, through a series of sometimes traumatic incidents, of a more real danger than ever emanating from the Russian Leviathan. In the face of new challenges, including stigmatizing classifications as « foreign agents » or « undesirable organizations », as well as mass exile, security practices are being reorganized, and tools once considered reliable are being questioned. Debates about anonymity and data collection arise in rebuilding communities