La modernité enchantée : la curiosité, ses enjeux et ses limites dans l'oeuvre romanesque d'Alexandre Dumas

Dans La Légitimité des Temps modernes, Hans Blumenberg distingue le XVIIe siècle comme une période clé dans la transformation de la curiosité : elle perd alors ses connotations négatives et devient à la fois la légitimation et la méthode de la recherche scientifique. Partant de ce constat, les critiques modernes ont négligé le développement de la curiosité au XVIIIIe et XIXe siècles, en supposant que les débats autour de la curiosité auraient cessé avec la systématisation et professionnalisation de la science. Cependant, les débats n’ont pas cessé : la curiosité reste au cœur des discussions au siècle des Lumières. Ces débats perdurent et prennent de nouvelles formes dans la France du XIXe siècle, où elle devient le vecteur de la société : au lieu de s'appuyer sur les valeurs établies (le cadre absolutiste de la monarchie, l'Église), l’homme devait repenser, redéfinir ses valeurs et représentations. La curiosité constitue la réponse à une crise institutionnelle – tant sur le plan métaphysique, politique que sociologique – mais en même temps, cette curiosité s'accompagne de nouveaux doutes et de nouvelles interrogations : Faust, Frankenstein et Balthazar Claës sont autant de figures emblématiques de cette période. Cette thèse de doctorat étend les recherches de Blumenberg au XIXe siècle à travers une étude de la curiosité dans les romans d'Alexandre Dumas. La curiosité est une facette essentielle de la poétique dumasienne : l'écrivain incarne l'élan de la curiosité moderne – dans ses Mémoires, il décrit son parcours en termes de curiosité –, la curiosité est un thème majeur dans ses romans (ses personnages, comme d'Artagnan, sont fondamentalement curieux), et l’écrivain compte sur la curiosité de ses lecteurs. Toute l'œuvre de Dumas est portée par l'idée de curiosité, elle est la pierre angulaire de sa démarche, et elle détermine sa vision sur la science, la politique et la société. En même temps, Dumas voit aussi les dangers et les limites de la curiosité. À travers l'analyse de trois types de curiosité - la curiosité intellectuelle, sociale et publique - cette thèse explore l'attitude de Dumas envers la curiosité et étudie sa vision sur la modernité. Étudier Dumas à la lumière de la curiosité permet de réhabiliter l’écrivain et son œuvre sur le plan intellectuel. Dumas est plus qu’un ‘amuseur’. Cette étude montre qu’il prend activement part au débat public et intellectuel : il repense le débat moral sur la bonne et la mauvaise curiosité, il questionne les limites et les envers de la quête de la connaissance et s'interroge sur les nouvelles pratiques scientifiques et culturelles. Cette attitude critique fait de Dumas un penseur "moderne". Cela dit, Dumas refuse le désenchantement qui découle de la quête de la vérité. Tous ses personnages sont à la recherche d'une forme de consolation : ils ont soif d'amour, de spiritualité et de sensualité. La curiosité permet de transcender le paradoxe : Dumas met à nu la vérité, cela lui semble nécessaire, et il console ses lecteurs de la perte des illusions