L’évolution de la cohabitation intergénérationnelle au Maroc : les solidarités privées mises à l’épreuve ?

International audienceDans les pays occidentaux, les relations entre générations prennent aujourd’hui rarement la forme d’une cohabitation au sein du même logement, alors que dans les pays du Sud la présence d’au moins deux générations adultes est encore répandue. Nous étudions cette situation au Maroc où l’achèvement de la transition démographique est proche, lequel entraînera un fort vieillissement démographique dans les prochaines décennies (déjà 2,4 millions de personnes âgées de 60 ans et plus et 5,8 millions attendus en 2030).Au Maghreb, la famille est la clé de voute de la société. Elle repose sur des principes qui mettent en exergue la fonction patriarcale, le respect des aînés, la famille élargie. En milieu rural où subsiste une économie traditionnelle, on trouve encore couramment des relations d’entraide entre les différents membres d’une même famille allant jusqu’au partage du logement. En revanche, cette situation est moins fréquente en milieu urbain et s’atténue à chaque enquête ou recensement. Nous proposons de mieux apprécier les raisons de la décohabitation intergénérationnelle. Si l’exode rural, la taille des logements en milieu urbain (…) sont des arguments fréquemment évoqués, il convient aussi de considérer certaines évolutions socio-culturelles : la plus grande recherche d’intimité du couple vis-à-vis des ascendants, l’évolution du statut des femmes, l’influence des modes de vie occidentaux via les médias (…).La moindre cohabitation intergénérationnelle dont on peut penser qu’elle se diffusera aussi en milieu rural est-elle associée à un affaiblissement des relations d’entraide entre générations ? A partir des données de l’enquête nationale sur les personnes âgées au Maroc (ENPA-2006), nous montrons que la solidarité entre générations offre une certaine « résistance », que d’aucuns présentent comme une possible spécificité de la société marocaine (voire maghrébine). Le recul de la cohabitation intergénérationnelle, qui apparaît notamment à travers les données collectées par les différents recensements, ne semble donc pas traduire un affaiblissement des solidarités familiales envers les aînés mais plutôt révéler une modification des formes de ces solidarités. Toutefois, dans un pays où les systèmes de retraite sont loin d’être arrivés à maturité, la nucléarisation des ménages sera problématique pour certaines personnes modestes et pauvres, peu entourées socialement : les femmes veuves, analphabètes, démunies économiquement, sont à ce titre les plus vulnérables. Plus généralement, on peut redouter que l’allongement de la durée de la vie, associé à la disparition de la cohabitation entre les générations provoquent de fortes inégalités entre les personnes âgées détentrices de pensions retraite ou d’un patrimoine et celles qui ont peu de capital ; entre celles qui vivent en couple, bien entourées par leurs proches, et les personnes veuves isolées ; entre celles bénéficiant d’une assurance médicale et celles ayant des difficultés d’accès aux soins… Au final, la gérontocroissance entraînera vraisemblablement une mise à l’épreuve des solidarités familiales et une dégradation des conditions de vie de certaines personnes âgées, si ne se met pas en place une politique publique de soutien spécifiquement dédiée aux aînés vulnérables, concernant notamment le logement, les revenus et les soins médicaux. L’instauration d’une politique publique ciblant spécifiquement la population âgée semble souhaitable pour agir en complémentarité avec les solidarités familiales qui ne disparaissent pas mais se transforment. Une telle politique sera d’autant plus efficace qu’elle sera articulée à une maturation du système de protection sociale dans son ensemble.Données et méthodes : Nous travaillons sur les données de l’enquête nationale sur les personnes âgées au Maroc (ENPA-2006) et sur les données des Recensements Généraux de la Population et de l’Habitat de 1982, 1994 et 2004 afin de pouvoir faire des comparaisons entre dates différentes