De la résolution chronologique annuelle à l’enregistrement multimillénaire. Croisement de méthodes et de temporalités multiples pour identifier continuités et ruptures dans les occupations paléolithiques

International audienceL’étude des sites préhistoriques contenus dans des remplissages karstiques implique de travailler avec différentes échelles temporelles qui s’articulent entre elles : une modélisation bayésienne intégrant plusieurs datations radiométriques d’une même couche peut permettre d’estimer, suivant le matériel daté, la durée (d1) de formation d’une couche ou la durée (d2) de la succession des occupations dans cette couche ; la seconde (d2) étant nécessairement comprise dans la première (d1). La résolution temporelle est alors dépendante des méthodes de datation radiométrique et se situe souvent à l’échelle méso-chronologique (centennale), voire macro-chronologique (millénaire). Une approche micro-chronologique telle que la fuliginochronologie des carbonates (étude de la succession des films de suie piégés dans les concrétions) offre quant à elle accès aux échelles de temps plus fines. En effet, les spéléothèmes sont un exemple d’archives à très haute résolution temporelle présentant potentiellement de longs enregistrements des paléo-environnements mais aussi des activités humaines. Lorsqu’ils sont constitués de doublets annuels, il devient possible d’établir des micro-chronologies fines (résolution subannuelle).Sur le site paléolithique de la Grotte Mandrin (Drôme), de tels doublets ont été identifiés grâce au croisement de la pétrographie et des analyses en spectroscopie sur plasma induit par laser (LIBS). L’étude des encroûtements fuligineux du site a ainsi permis de reconstituer la chronique des occupations humaines pour chaque niveau archéologique avec une résolution annuelle. La durée pendant laquelle les occupations se sont succédées a pu être estimée pour chaque couche archéologique grâce au décompte des lamines de croissance des carbonates.La modélisation chronologique bayésienne des dates radiocarbones issues de matériel archéologique provenant de la partie supérieure de la stratigraphie de le Grotte Mandrin ne révèle pas de hiatus ; le site semblerait ainsi occupé de façon continue d’environ 58 à 42 ka cal. BP. Par ailleurs, la fuliginochronologie, qui s’affranchit du flou statistique inhérent aux datations radiométriques, révèle au contraire des durées d’occupation du site incompatibles avec une continuité d’occupation sur 16 000 ans. Elle permet également d’identifier des continuités d’occupation entre certaines couches archéologiques. La combinaison des différentes méthodes (datations radiométriques, modélisation bayésienne et fuliginochronologie) permet ainsi de révéler et de replacer dans le temps les continuités et les les ruptures dans les occupations : en tenant compte des durées d’occupation et des continuités identifiées, des hiatus de plusieurs centaines ou milliers d’années peuvent apparaître, là où ils étaient invisible avec la seule modélisation bayésienne des dates radiométriques.En conciliant les différentes méthode d’approche du temps, il devient ainsi possible d’affiner la chronologie des occupations sur un site par l’intégration de nouvelles informations a priori sur les hiatus et les durées, tirées de l’étude des encroûtements fuligineux. Ce croisement de méthodes permet d’asseoir le contexte chronologique des évolutions biologiques et des changements culturels des sociétés occupant la Grotte Mandrin à la transition entre Paléolithiques moyen et supérieur