La dialectique de l’amour chez Jane Austen

Ce mémoire de maîtrise utilise l’approche philosophique et cherche à montrer que l’amour chez Jane Austen est plus complexe que ce que la critique a longtemps proposé. Nous souhaitons montrer que ses ouvrages ne font pas l’apologie de la raison. Nous mettons en évidence la tension entre l’amour passionnel et l’amour amical qui persiste à la fin de Le Coeur et la Raison et d’Orgueil et préjugés. Ce conflit ne se résoudra qu’en toute fin de piste, avec l’apparition de l’amour romantique dans Persuasion. Le premier et le deuxième chapitres s’appuient sur deux visions de l’amour, soit l’amour passionnel, tel que décrit dans Le Banquet de Platon, et la philia d’Aristote. Le premier chapitre se concentre sur la trajectoire amoureuse des soeurs Dashwood dans Le Coeur et la Raison. Marianne, d’abord passionnément éprise de Willoughby, finira par épouser le colonel Brandon, une union sous le signe de l’amour amical. Le véritable mariage d’amour du roman, c’est sa soeur Elinor qui le conclura avec Edward Ferrars. Dans le deuxième chapitre consacré à Orgueil et préjugés, nous voyons comment, lorsqu’Elizabeth tombe sous le charme de Wickham, il s’agit d’un amour passionnel. À la fin du roman, elle s’unira plutôt à Darcy. L’amour qui l’unit à Darcy est l’amour amical. Cette relation permettra aux deux partenaires de cheminer ensemble vers la vertu en corrigeant chacun leurs travers. Et leur union a toutes les chances d’être couronnée de succès, puisqu’ils partagent tous les deux la même conception d’une vie bonne. Jane, pour sa part, épousera Bingley. Ils tombent amoureux dès leur première rencontre, et leur relation s’apparente à l’amour passionnel. Encore une fois, le roman s’achève sans que le conflit entre l’amour passionnel et l’amour amical ne soit résolu. Le troisième chapitre propose une solution à la tension entre les deux types d’amour précédemment illustrés. L’amour romantique lie le beau sentiment à la liberté et à l’épanouissement de soi. Dans Persuasion, Anne trouve auprès de Wentworth un partenaire qui valorise ses qualités et l’encourage à développer ses aptitudes. Auprès de ce dernier, la jeune fille peut devenir ce dont elle a envie. À l’opposé des autres héroïnes austeniennes dont la destinée est assez prévisible à la fin du roman, le mariage qu’elle conclut avec Wentworth engage Anne sur un chemin pavé d’inconnu. Nous avons utilisé les recherches de Robert C. Solomon pour montrer comment l’amour peut aider à construire une identité : la relation de couple est l’occasion pour Anne d’esquisser son identité grâce au reflet d’elle-même que son partenaire lui renvoie. Son rôle d’amoureuse lui permet d’exploiter des facettes d’elle-même qui n’étaient pas valorisées par sa famille. Cette solution, qui lie amour, liberté et identité, est audacieuse. Elle permet à Anne de se définir par elle-même aux côtés de son partenaire et lui laisse l’opportunité de choisir un futur différent de celui des autres héroïnes austeniennes. Ce futur que l’autrice a voulu laisser ouvert et difficile à prédire pour le lecteur montre le changement qui s’est opéré depuis le premier roman : désormais, la famille et l’ordre établi cèdent le pas à l’indépendance et à l’épanouissement de soi