Les Enjeux de la représentation du conflit des Malouines

La fictionnalisation de l'Histoire, a fortiori lorsqu'il s'agit d'évènements qui sont chronologiquement proches, soulève de nombreuses questions et controverses relatives d'une part au choix et à l'exactitude des faits et propos retenus et d'autre part à l'usage qu'il en est fait. Quelles raisons peuvent bien conduire un réalisateur à documenter un épisode de l'Histoire récente qui a par ailleurs très largement été exploité par les presses écrites et audiovisuelles ? Pourquoi le choix du mode fictionnel pour envisager l'actualité proche ? Alors que le documentaire et le journalisme d'investigation entretiennent l'illusion d'être les modes les plus à même de fournir une information fiable relative à l'actualité, la fiction, d'ordinaire associée au point de vue, à la distorsion des faits, est d'emblée discréditée pour rendre compte du réel. La littérature s'accommode fort bien de ce genre d'appropriation de l'Histoire récente : grâce à elle, un écrivain comme Norman Mailer a pu donner ses lettres de noblesse au journalisme narratif. À l'inverse, le cinéma et plus encore la télévision connaissent des difficultés à donner du crédit aux œuvres qui abordent l'actualité récente par le truchement de la fiction. Avant même le début des hostilités, la guerre des Malouines génère la production d'images destinées à mobiliser la population autour de la décision du gouvernement de Margaret Thatcher de mettre un terme aux négociations tripartites avec les gouvernements argentin et états-unien et de passer au conflit armé. Le 5 avril 1982 la flotte britannique, à la tête de laquelle se trouvent HMS Hermes et HMS Invincible, quitte Portsmouth accompagnée par une foule dont l'enthousiasme et la solennité sont relayées par les chaînes de télévision nationales. S'il donne lieu à une abondante couverture médiatique, le reste du conflit se résume principalement à des images de navires projetant missiles et roquettes ou bien sombrant dans les eaux sombres du Pacifique sud. Les batailles qui se tinrent sur terre pour reconquérir les positions occupées par les troupes argentines ne firent ni les titres de la presse écrite ni même les premières minutes des journaux télévisés. Pas plus d'ailleurs que les récits, beaucoup moins télégéniques de ces hommes tués au combat, blessés ou bien mutilés. Presse écrite et télévision fournirent aux Britanniques la réplique moderne des batailles d'antan livrées sur toutes les mers du Globe et que relataient les manuels d'une Histoire officielle. Il s'agissait là d'une forme de censure moderne que des réalisateurs comme Richard Eyre et Michael Samuel allaient tenter de contourner en offrant, par le biais de la fiction, une version à la fois beaucoup plus controversée et plus en adéquation avec la réalité. Axée autour des deux œuvres télévisées sur le conflit des Malouines que sont Tumbledown et The Falklands Play, notre travail tentera de démontrer en quoi nous avons affaire à des récits authentifiants qui peuvent sans complexe témoigner sur le sujet, tout autant que les versions officielles orchestrées par les différents organes de presse. La fiction offre une dimension plus nuancée de la réalité guerrière. Plus que la réécriture d'une page de l'Histoire, elle en approfondit la peinture en ajoutant à la version politique, diplomatique et stratégique, une dimension à la fois personnelle, humaine et en prise directe avec le déroulement quotidien des événements. Nous examinons dans cette communication en quoi ces formes subtiles de journalisme d'investigation permettent de déjouer les formes modernes de censure, de détournement de l'information pour offrir aux citoyens des points de vue, certes documentés, mais plus souvent encore subversifs