La route dans l'imaginaire épique et romanesque (XIIe-XIVe siècles)

International audienceDans l'épopée et le roman français du Moyen Âge, la route est peut-être l'une des principales lignes de force qui structurent l'espace imaginaire et lui donnent sa signification. Mais sa représentation, tout entière dominée par la subjectivité des personnages, du narrateur, et en définitive de l'auteur, reste souvent discrète, sinon implicite. La géographie des romans arthuriens est ordinairement bien vague et, dans les chansons de geste, l'évocation des chemins est fréquemment limitée à la mention d'une série de toponymes. C'est que, dans la fiction narrative, la route ne trouve pas en elle-même son intérêt : elle prend quelque importance seulement dans la mesure où elle contribue à éclairer le sens de l'action héroïque. En effet, orientée vers un ailleurs que découvrent les chevaliers errants, les messagers ou les armées, elle permet d'entrer en contact avec l'étranger, parfois même avec l'étrange. Le paysage, alors, devient signifiant, car c'est en observant la route, ou en observant le monde à partir de la route, que l'on perçoit d'abord l'altérité. Et les rencontres ou les affrontements que suscite le voyage révèlent plus précisément encore la manière dont sont envisagées l'existence même de l'autre et la conception des relations que l'on peut établir avec lui. Mais ces confrontations constituent aussi des épreuves qui conduisent les héros à une découverte d'eux-mêmes, à la construction de leur propre statut, à la reconnaissance de leur identité. La route suscite ainsi deux mouvements inverses mais complémentaires — l'un tout entier tendu vers (ou contre) l'extériorité, l'autre tourné vers l'intériorité — à travers lesquels se révèlent quelques aspects de l'organisation signifiante du monde