Vers une «philosophie de la religion» d'aujourd'hui A partir de la problématique du témoignage (1ère partie)

La philosophie de la religion, comprise au sens étroit de ce terme, s'est établit vers la fin de l'époque des Lumières, au tournant du 18e au 19e siècle. Cela désigne en général ce genre de réflexion qui consiste à aborder par la démarche rationnelle la signification ou valeur des phénomènes relevant des religions positives. Il nous semble pourtant que la possibilité même de cette discipline est profondément mise en branle à notre époque. D'une part, pour l'acte de philosopher, il devient de plus en plus inévitable de contenir en lui-même une certaine autocritique radicalisée, comme indiquent en particulier des représentants de la philosophie française contemporaine. Aussi s'agit-il d'une philosophie trop «faible» pour pouvoir reconstituer ce que devrait être la religion en son essence. D'autre part, les critères mêmes selon lesquels quelque chose est dit «religieux» tendent à être de plus en plus incertains. Ce n'est pas seulement la question de la critique constructiviste qui se développe au niveau épistémologique autour de la définition de la religion. Il s'agit plutôt d'une incertitude essentielle dans laquelle le religieux et l'a-religieux ou l'ir-réligieux sont intricablement liés (Derrida). L'objectif général de cette série de recherches, dont le présent article est la première partie, est de discerner précisément dans cette double mise en question ce qui amorce une forme inédite de la pensée qu'on pourrait appeler «philosophie de la religion d'aujourd'hui». En se placant dans ce questionnement abyssal qui affecte tant la philosophie que la religion, notre réflexion doit commencer par se demander où et comment ce questionnement même s'éprouve comme tel. Afin d'entamer cette tâche de manière concrète, nous choisissons comme ses fils conducteurs les deux problématiques qui constituent depuis longtemps sources intarissables d'interrogation pour la philosophie et la religion : la mort et le mal. Quel est done la situation spécifiquement contemporaine qui détermine notre rapport à ces deux négativités fondamentales? Dans cette première partie, nous traitons de la question de la mort en se référant à certains penseurs contemporains, tels que Heidegger, Marcel, Lévinas, et Derrida. D'abord, en examinant l'idée heideggerienne de Sein zum Tode et les méditations sur la mort d'autrui développées par Marcel, nous nous proposons de dégager deux manières cruciales dont l'interrogation philosophie s'est reformulée fondamentalement, au commencement de la philosophie contemporaine, en relation avec la problématique de la mort. La situation socio-historique où nous sommes actuellement semble toutefois nous obliger de nous méfier de la personnalité même de la mort, soit à la première personne (sum moribundus chez Heidegger), soit à la deuxième personne (le mort aimé chez Marcel). Nous devons done nous attaquer ensuite à cette transformation de la question de la mort, qui risque de rendre ambigu la figure même de la question, sous le signe de ce que Blanchot appelle «la mort nécessaire impossible», et en référence à Lévinas et Derrida qui développent cette idée chacun à sa façon. (À suivre