Le livre dans l'économie du don et la constitution des bibliothèques ecclésiastiques à l'époque moderne

International audienceDans l’économie régulière, le livre, comme tous les biens domestiques, s’inscrit certes dans une économie marchande, mais aussi aux marges de celle-ci. Il se prête volontiers à des dons qui lient ensuite un objet, un bienfaiteur et un couvent. On examine ici d’une part, à la lumière des théories de Mauss et de Godbout, comment le don de livres a été producteur de relations sociales, et très occasionnellement spirituelles et érudites autour des couvents, et d’autre part, comment ces dons, juridiquement inaliénables, ont obligé les établissements religieux à imaginer la gestion des bibliothèques.L’analyse des constitutions des ordres, d’un corpus d’ex-dono des bibliothèques publiques de Rhône-Alpes et de Lorraine, enfin de nombreux exemples de testaments et de listes de dons relevées dans les archives conventuelles, montre d’abord que la bibliothèque assume une fonction mémorielle qui dépasse largement la seule mise à disposition des savoirs. Elle met en évidence une évolution en trois temps de la sociologie des donateurs, qui commence avec la générosité des dévots, princes ou bourgeois (fin du XVe – fin du XVIIe siècle), qui se prolonge ensuite avec des liens apostoliques noués avec le clergé séculier (fin du XVIIe – v. 1730) et qui se termine, dans les cinquante années précédant la Révolution, avec les religieux eux-mêmes qui, manipulant l’argent, se constituent leurs propres collections avant de les remettre dans les bibliothèques de leurs établissements.D’un point de vue bibliothéconomique, le don fait l’objet de traitements qui révèlent diverses formes d’appropriation. Celle-ci peut être antérieure au geste du don lui-même, lorsque les religieux ont sollicité les livres d’un bienfaiteur. Un don peut être inopportun et refusé, preuve d’une réflexion dans la gestion des bibliothèques – c’est particulièrement vrai dans l’ordre de saint Benoît. Elle implique parfois un recatalogage et reclassement des collections en modifiant significativement leur contenu. En définitive, le don de livres est une des principales dynamiques et des bibliothèques ecclésiastiques, et de la constellation dévote et pastorale que polarise chaque maison religieuse