Alfonsina contre Alfonsina? : pour une réappropriation d’Alfonsina Storni

Alfonsina Storni (1892-1938) rejoint l’industrie culturelle émergente dans un contexte social tendu par les effets d’une migration de masse, mais aussi marqué par l’enthousiasme des célébrations en Argentine du Centenaire de la Révolution de Mai 1910. On retrouve dans ses chroniques, ses lettres /satyriques/ et ses articles son esprit d’avant-garde et son sens de la parodie, qu’elle mettait au service de ses œuvres littéraires comme de ses écrits commerciaux et journalistiques.Storni n’était pas seulement une auteure aisément accessible qui savait captiver les foules ; en tant que femme pauvre, enseignante de province, et mère célibataire, elle subissait de plein fouet la réalité brutale contemporaine de Buenos Aires. Son écriture est une exploration intérieure, un travail sur elle-même, et un chemin de résistance construit au féminin. Ses récits à la première personne remettaient en cause la mentalité misogyne, l’inégalité de genre, et les stéréotypes féminins attendus. Après son suicide, les médias ont mis en avant une image de Storni qui faisait écho à l’apparition du national-catholicisme et l’essor d’une culture politique populiste portant sa propre interprétation, empirique et mythologique, des écrits de l’auteure.Nous étudierons la performativité de Storni comme élément de la première vague féministe, le portrait d’elle dressé par les persistances du péronisme selon les différents usages de son appareil de propagande, et comment il en découla une représentation médiatique à la fois romantique et mélodramatique de cette auteure malgré son féminisme convaincu et son activisme social. Nous nous attacherons ensuite à l’influence durable que Storni exerce toujours dans un pays où le féminisme doit lutter contre une culture fortement androcentrique où les pratiques misogynes restent de mise.Afin de montrer la complexité de cette appropriation par la culture populaire au fil des décennies, il nous faut considérer Storni au prisme de toutes ces représentations. Cette approche permet de mettre en exergue et d’analyser les périodes de changements sociaux durant la première moitié du XXe siècle en Argentine. C’est ainsi que nous pourrons sortir de l’ombre les aspects de la vie d’une femme engagée, dont la créativité intellectuelle et le style cynique ont jusqu’à présent été ignorés au profit d’une image archétypique au service d’une idéologie.In a troubled social context by the impact of mass migration mixed with enthusiasm for the celebration of the First Centenary of the May Revolution in Argentina, Alfonsina Storni (1892-1938) joined an emergent Culture Industry. Her poems, chronicles, spoof letters and articles embodied her avant-garde thinking and her sense of parodying in the use of literature and commercial journalism. Storni was not just an easily accessible author who seduced crowds; as a poor woman, provincial teacher, and single mother, she was equally subjugated to the violent reality of Modern Buenos Aires. She explored writing as a path to self-knowledge, feminised resistance, and used first-person narrative to challenge misogynistic thinking, gender inequality and expected female stereotypes. Following her suicide, the media outlined a figure of her that echoed the irruption of catholic-nationalism and the rise of populist political culture with its own particular anecdotal and mythological reading of Storni.This study will look at Storni’s performativity as part of first-wave feminism and how she was later portrayed in the persistence of Peronism through the various uses of its propaganda machine that, consequently, influenced a representation in a romantic and melodramatic light by the media, despite her strong feminist and socialist activism. Then, we will further look at the effects that Storni still has in a country where the feminist struggle against the androcentric culture tendencies and practises remains a constant feature.To show the complexity of Storni’s appropriation over the decades by popular culture, it is essential to see Storni through her representations for ‘analysing’ and ‘revealing’ times of social change during the first half of the 20th century in Argentina. By doing so, we’ll be able to shed light on aspects of her life as a committed woman with an intellectual creativity and cynical style that remained hidden by an ideologically-oriented archetypical characterisation