Living figures : Ruskin and ornament

Au milieu du dix-neuvième siècle, dans l’Angleterre victorienne, un jeune critique d’art, John Ruskin, qui s’est fait connaître quelques années auparavant par sa vigoureuse défense de l’œuvre de Turner, entame une réflexion sur la nature du beau. Au cours de ses investigations esthétiques, il est amené à élaborer une notion singulière qui demeurera sans postérité, mais dont le nom, et le thème, ne manquent pas d’interpeller : la beauté vitale. Il y aurait, affirme-t-il, une beauté spécifique au vivant, distincte de toute autre, et qui joue dans notre expérience de l’art et de la nature un rôle considérable. C’est à l’exploration de la signification de ce concept qu’est consacrée la présente étude. Ce qui se trouve en jeu dans la pensée de Ruskin et que le passage par sa réflexion sur l’ornement permet de mettre en lumière, c’est en effet peut-être moins une défense du naturalisme qu’une esthétique de l’abstraction opposée à celle de son adversaire Owen Jones, et, dans le même mouvement, une phénoménologie très personnelle du vivant et de sa beauté ; une exploration de la manière dont nous pouvons avoir l’impression que quelque chose vit, et nous laisser ainsi émouvoir par une forme en apparence sensible, quand bien même ce que nous avons sous les yeux n’est que lignes, ombres ou lumière, et figé dans l’immobilité de la pierre.In mid-Victorian England, young art critic John Ruskin, known for his passionate defense of Turner’s work, tries to investigate the nature of beauty. His reflexion leads him to develop a new concept, “ Vital Beauty”, whose name, and subject matter, are still puzzling today. According to Ruskin, there is a kind of beauty which only living things possess, and which is of considerable importance in our experience of art and nature. This study intends to clarify the meaning of this concept. A close reading of Ruskin’s reflexion on ornament indeed shows that Vital Beauty does not only provide ground for a defense of naturalism, but also for a conception of abstraction opposed to his opponent Owen Jones, which leads Ruskin, most importantly, to develop a very personal phenomenology of living things and their beauty. Ruskin’s thought might be interpreted as a way to understand how we might feel that something is alive, and how we might be moved by a form which seems to be sensitive, even though what we actually see is just made of lines, light, or shadows, and benumbed in the cold stillness of stone