Le poids du secret : l'incipit lacunaire de Corazón tan blanco de Javier Marías

International audienceEtude des procédés narratifs dont use l'écrivain pour manipuler son lecteur dans le premier chapitre du roman et le conduire à visualiser la scène du suicide d'une jeune femme au retour de son voyage de noces comme s'il la lui racontait. Cet article s'interroge sur les raisons qui président à cet escamotage du vécu de la mort et à la mise en place du piège narratif visant à induire en erreur le lecteur. Il s'efforce de démontrer que la présence d'un secret, lié à l'existence même du personnage-narrateur, suscite tout au long de cet incipit une écriture de la non-implication et la mise en place d'un espace symbolique fondé sur la notion de frontière. Seule une relecture attentive de l'incipit révèle le caractère profondément lacunaire d'un texte fondé sur la paralipse et permet de déceler les stratégies dilatoires mises en place par le narrateur pour retarder le dévoilement du secret. En refusant de décrire le passage de la vie à la mort de la jeune femme, ce chapitre raconte implicitement la naissance du personnage narrateur, fondée sur une transgression longtemps demeurée secrète