Hétérotopies visuelles dans les feuilles volantes illustrées de la première modernité

International audienceCes formes bimédiales que sont les feuilles volantes satiriques de la première modernité, associations d'images et de texte sur le mode de l'emblème contemporain, présentent dans l'espace tabulaire de la pictura centrale des accroches visuelles, des images attractives et ambivalentes d'espaces exotiques ou familiers, du nomadisme et de la liberté sexuelle, que le texte d'accompagnement (inscriptio et subscriptio) entend récuser. Plus que d'images de l'utopie (pays de cocagne), il s'agit d'" hétérotopies " visuelles, au sens de Michel Foucault, ancrées en négatif dans le réel social, de zones d'exterritorialité morale (théâtre des tréteaux, étuves, tavernes et ateliers de tissage) ainsi que d'espaces ouverts aux marges de la cité (bosquets, faubourgs, ports) et de lieux d'errance, d'" a-topies " (lande, grève). La contribution analyse l'ambiguïté de ces feuilles dont le message troublé tient au paradoxe de toute littérature satirique qui entend corriger les mœurs en montrant leur dépravation. Peut-on prôner l'ascétisme avec des images du désir, du stupre, des corps nus et repus ? Le heurt schizophrénique entre le voir et le lire, entre utopie visuelle et dystopie écrite relativise la norme que les auteurs édictent. Que l'anti-hédonisme affiché de ces derniers ne soit que convenu, générique, ou qu'ils soient victimes d'hémiplégie morale, dans les deux cas les spectateurs-lecteurs (" Anseher ") urbains ne sont nullement dupes et trouvent dans ces supports à large diffusion matière à alimenter une " culture de conversation " en plein essor