De l'état légal à l'état de droit. L’évolution des conceptions de la doctrine publiciste française 1879-1914

The Third Republic regime is defined byCarré de Malberg as the regime of the État légal for it promotes the rule of law formulated by a parliament now elected by universal male suffrage. This regime is therefore characterized by the apparent supremacy of the Parliament.The study of the public law doctrine from 1879 to 1914 demonstrates, however, that, for these authors, such a system is unsatisfactory as parliamentary omnipotence turns out to be more a danger than a safeguard. This calling into questions concerns both the theories of sovereignty and of representation.Accordingly, public law theorists have progressively substituted the more juridical sovereignty of the State for the political theory of national sovereignty. This shift lessens the importance of both the electorate and the legislative body. All Public law theorists wish to limit the effects of the unorganized Universal suffrage and reestablish the balance of power. Having lost confidence in the virtues of the law and the political guarantees of the État légal, the public law theorists try to find in the law away to preserve the liberal values which they consider threatened by the extension of the franchise. The judge becomes the main guarantor of freedom and juridical order. Judicial appeals should ensure the people’s security against state interventionism and permit the triumph of abstract and juridical « True Democracy ». Viewing the rule of law as providing a solution for all conflicts, the public law theorists insisted that politics should be subjected to Law because they regarded politics as an area of anarchy and individual interests. Law should reintroduce order and rationality into a society transformed by industrialization.Thus the État de droit seems to be the end of the French Revolution and the condition for the efficacy of Public Law which in turn gives the State the means for its legitimacy.Le régime instauré par la Troisième République qui se réfère constamment aux idéaux de la Révolution française est défini par Carré de Malberg comme le régime de l’État légal en ce qu’il organise le règne de la loi, acte général et impersonnel voté par un Parlement désormais élu au suffrage universel (masculin). Le législateur occupe ainsi une place essentielle dans le système politique et dont l’importance s’est vue confirmée par la constitution Grévy de 1879 ; ce régime se caractérise donc par la suprématie (au moins apparente) du Parlement à travers le règne de la loi mise en place par la Révolution française pour garantir le citoyen contre l’arbitraire. L’étude de la doctrine publiciste française entre 1879 et 1914 montre que celle-ci ne se satisfait pas d’un tel système puisqu’elle dénonce l’omnipotence parlementaire comme un danger plutôt qu’elle n’y voit une garantie. Cette remise en cause de l’État légal s’opère à la fois sur le plan des théories de la souveraineté et sur celui des conceptions de la représentation. Les publicistes, qui opposent radicalement la souveraineté nationale à la souveraineté populaire qu’ils récusent, substituent progressivement à la théorie politique de la souveraineté nationale celle, plus juridique, de la souveraineté de l’État, « personnification juridique de la nation ». Ce déplacement leur permet de relativiser l’importance du corps électoral et du corps législatif que certains auteurs mettent sur le même plan que l’Exécutif en adoptant la théorie de l’organe. Tous souhaitent à la fois limiter les effets du suffrage universel « inorganisé » et restaurer l’équilibre des pouvoirs. Ayant perdu confiance dans les vertus de la loi et des garanties politiques de l’État légal, ils cherchent dans le droit la possibilité de sauvegarder les valeurs libérales qu’ils estiment menacées par l’extension du suffrage et par la « tyrannie législative ». Le juge est ainsi promu au rang de garant essentiel des libertés et de l’ordre juridique. Les recours juridictionnels sont en effet supposés assurer la sécurité des administrés face à l’interventionnisme étatique et aux risques de la décentralisation. Ils sont censés permettre le triomphe de la « vraie démocratie », c’est-à-dire en réalité d’une démocratie abstraite et juridique. Proposé comme lieu de solution pour tous les conflits, le droit (comme norme suprême, ensemble de normes, mais aussi discipline) est destiné à s’imposer comme souverain, ce que souhaitaient déjà les doctrinaires de la Monarchie de Juillet. Il doit se soumettre la politique, vécue par les publicistes de l’époque comme le règne de l’anarchie et des intérêts particuliers, réintroduire l’ordre et la rationalité dans une société transformée par l’industrialisation. L’État de droit prétend ainsi se présenter comme l’achèvement de la Révolution française et la condition d’effectivité du droit public. À son tour, le droit public donne à l’État les moyens de sa légitimité et ce d’autant mieux que, par ses ambiguïtés, le concept de droit permet d’intégrer aux données de l’ordre juridique des éléments jusnaturalistes