La Révolution, machine à fiction

International audienceRêve ou cauchemar, aurore ou cataclysme, renaissance ou apocalypse, la Révolution hante le xix e siècle. Ce spectre est d'ailleurs bien vivant : réactivée à chacune de ses répliques (1830, 1832, 1834, 1848, 1871…), la mémoire révolutionnaire est convoquée à titre de référence, d'exemple, de contre-modèle, de promesse à accomplir ou de parallèle désastreux ; elle fournit à la fois des modèles explicatifs, des programmes d'action, des imaginaires socio-historiques extrêmement productifs durant toute la période. La Révolution française se pense au présent : « Le dix-neuvième siècle a une mère auguste, la Révolution française. Il a ce sang énorme dans les veines. […] Donc, nous hommes du dix-neuvième siècle, tenons à honneur cette injure :-vous êtes 93 1. » Le siècle s'empare de la Révolution sur tous les modes : le mythe, la légende, le roman noir, le récit fantastique viennent concurrencer les savoirs historiographiques, voire les hybrider. Les discours sociaux reprennent, déforment, métamorphosent figures et représentations. L'iconographie, la peinture, la statuaire proposent des noyaux fictionnels susceptibles d'infinis développements-élégiaques, tragiques, épiques. L'écriture mémorielle elle-même, avec Chateaubriand, Dumas ou George Sand, s'origine dans la fracture révolutionnaire. La Révolution, avant de devenir lieu de mémoire républicaine, cristallise les polémiques sur le sens de l'histoire, le rapport du sujet au devenir, la nécessité de la violence à l'oeuvre dans le devenir des civilisations : la mise en fiction permet de problématiser et de modéliser ces questions obsédantes