La danse contemporaine et ses dispositifs de réduction phénoménologique: Deux voies d'accès au mouvement corporel : Contraindre de Myriam Gourfink et WHA 909 de Régine Chopinot.

Une des caractéristiques de la danse contemporaine tient dans son attention aux gestes quotidiens, habituels. Cette subversion vis-à-vis des pratiques traditionnelles du spectacle vivant participe d'ailleurs de l'acte de naissance même de la danse contemporaine. Elle fut et est marquée par une volonté de se détourner du spectaculaire et du code pour saisir le corps en mouvement. Or le geste quotidien peut être considéré comme un comble de la motricité car il vit de la tension propre à tout mouvement humain, c'est-à-dire qu'il est masqué et que, en se dissimulant comme savoir-faire, il se fait “poïétique”, tremplin vers des possibles. Deux aspects principaux le montrent : - le mouvement est un « point aveugle », c'est-à-dire qu'il permet d'explorer le monde, d'avoir un point de vue sur lui et d'y accomplir des fins précisément parce qu'il reste lui-même inaperçu,- la motricité tend vers une stratification des actes en savoir-faire habituels, automatiques. En “travaillant sur” le geste quotidien stratifié dans les corps, la danse contemporaine manifeste la stratification elle-même, comme pouvoir du corps. On peut dégager au sein des pratiques chorégraphiques deux traitements radicaux du geste quotidien : - l'un consiste à porter sur scène ces habitudes, ces mouvements qui nous semblent précisément peu dignes d'attention, que la tradition jugeait dépourvus de qualité artistique,- l'autre, à l'inverse, passe par une tentative d'abandon des habitudes (pratiques et symboliques) et recherche des mouvements inédits, non par leur caractère spectaculaire mais par leur apparente inélégance ou inutilité. Ces démarches convergent dans la mesure où l'une et l'autre permettent de saisir ce qui se dissimule dans le geste quotidien plus que dans tout autre mouvement et qui, pourtant, est essentiel à tout mouvement et finalement à toute expérience humaine. Elles mettent au jour cette puissance motrice humaine qui ouvre le monde à une « exploration » (de la manipulation à l'observation scientifique ou contemplative), élève nos contractions musculaires au rang de conduites finalisées et sensées, et enfin initie le monde culturel dans lequel se tissent les échanges, les rencontres et la création. Se pose ici à nouveaux frais le problème du surgissement du sens, des écarts, c'est-à-dire de la mise en œuvre dans et par le corps d'une signification (comme structuration, orientation, ordonnancement par différenciation). Autrement dit, en détournant l'habitude des fins qu'elle “sert” et en portant l'attention sur le geste devenu savoir-faire, le danseur permet au spectateur de tenter de saisir ce qui advient dans et par le corps quand il se meut. En cela il est possible de comparer certains spectacles de danse contemporaine à une réduction phénoménologique et d'y “voir” ce que Merleau-Ponty cherchait dans l'acte du peintre : « C'est l'opération expressive du corps, commencée par la moindre perception, qui s'amplifie en peinture.