l'Éducation, l'État et la poésie : une controverse à Weimar entre Herder et Schiller

"L'opposition qui sépare Herder et Schiller porte sur plusieurs points, et même si la controverse est parfois frontale, elle mobilise de fait des enchainements complexes. On pourrait partir du statut de l'œuvre d'art et de son rapport à la raison. Pour Herder, la prétention des Lumières à former l'humanité sur les bases de la raison est illusoire et si la Révolution française signifie bien un progrès de l'humanité, ce n'est de fait ni la raison, ni la volonté humaine qui constituent le moteur de l'histoire. Ce qui est premier et constitutif de l'expérience humaine, c'est le langage poétique, la poésie populaire (et nationale) avant l'émergence de la pensée et du langage rationnels, de telle sorte que, à travers l'œuvre d'art, le sens de l'histoire est une autoformation de l'humanité par elle-même. En revanche, pour Schiller, l'art et la poésie plus particulièrement ont un statut idéal plongeant ses racines et son modèle dans la Grèce de l'Antiquité. L'homme est ainsi éducable parce qu'il a cette capacité, esthétique et morale, de s'élever à l'universalité de la raison. Il en résulte une sorte d'équivalence entre l'artiste et le pédagogue, le domaine de l'art et celui de la politique; l'Etat éducateur est par ce fait émancipateur, ou, autrement dit, l'éducation esthétique est au service de l'éducation politique; pour Schiller le sens de l'histoire réside dans cette réconciliation de la sensibilité et de l'entendement, à cette condition que le sentiment (et l'éducation) esthétique soit une ouverture à l'universalité. Didier Moreau peut résumer ainsi ce qui oppose in fine Schiller et Herder: pour le premier l'éducation est une Ausbildung, un arrachement, unifié dans un idéal universaliste, pour le second, elle serait une Emporbildung, un développement, interne, qui se manifeste dans des cultures diversifiées créatrices de formes nouvelles." (Alain Vergnioux