L'autonomie sociale, ou le syndicalisme producteur de normes.: Les conventions collectives avant la lettre, 1890-1919

International audienceCette contribution présente quelques résultats d’un projet de recherche sur l’histoire du droit des conventions collectives du travail en France et en Allemagne avant 1919. La sociologie du droit met tôt en évidence la spécificité de la CC : d’être un droit produit non pas par le législateur, mais de façon autonome par ceux auxquelles ce droit doit s’appliquer. Si ce droit vivant ne fait pas partie des dispositions du code du travail, ses règles ont force de droit devant les Conseils de prud’hommes comme usages locaux des métiers. Pour rendre compte de cette production autonome, il importe d’adopter la perspective de ceux qui ont conclu des CC avant la guerre, en s’appuyant sur l’analyse des textes et de l’historique des CC. L’analyse de plus de 2000 textes de CC relève un nombre important de contradictions entre le droit vivant des CC et le droit positif produit du législateur, de la doctrine juridique et la jurisprudence. La rupture sémantique entre le langage de ces deux mondes de droit contribue à creuser le clivage, au point que la CC apparaît à des syndicalistes qui la pratiquent depuis de décennies comme une invention nouvelle des juristes et politiciens réformateurs sociaux. Les contradictions concernent surtout le caractère juridique de la CC et le rôle du syndicat dans la production et le contrôle des normes. Contrairement à ce que maintient une partie de la doctrine, il ressort que la CC n’est pas « qu’une déclaration faite par les patrons », mais un ensemble de normes négociées et fixées d’un commun accord, que les deux parties signataires sont obligés de respecter. Dans l’esprit de ceux qui forment des CC, elles doivent servir de loi de la profession, valable pour tous les ouvriers et patrons, syndiqués ou non. Des délégations ouvrières, comprenant des membres dirigeant du syndicat, sont élus en assemblée générale des grévistes pour pouvoir représenter toute la corporation. Cette pratique va à l’encontre de la loi du 27 déc. 1892, qui tente d’évincer le syndicat des procédures de conciliation, et du même coup, de la CC. Elle proteste contre une jurisprudence qui n’admet pas que le syndicat puisse défendre les intérêts de la corporation toute entière, en demandant l’exécution d’une CC violée par un patron. Le discours des réformateurs sociaux sur la CC garantie de paix sociale ne correspond pas à cette conception de la CC comme loi de la profession, qui implique que la fonction économique de la CC est de régler la concurrence par un tarif unique et général. En effet, une telle conception nécessite que le syndicat se charge de défendre ces règles, au besoin par la grève, et d’imposer leur respect par des moyens d’action directe comme la mise à l’index. Bien que l’histoire des grèves démontre l’intérêt des syndicats ouvriers d’entourer la CC de toutes les formalités juridiques pour imposer et stabiliser des normes, le législateur favorise plutôt les stratégies à travers lesquelles les patrons tentent de s’assurer un maximum de flexibilité au détriment de la sécurité des salaires et conditions du travail. Les syndicats ouvriers n’ont aucun part dans la production de la loi de 1919, qui, sur ces points, va à l’encontre du droit vivant