Former au développement durable en s'appuyant sur les pédagogies de projet et inversée

International audienceL'expérience que nous relatons ici est la conception et la mise en oeuvre d'un module d'enseignement de 20 heures intitulé Développement durable et destiné à une trentaine d'étudiants de 2e année de DUT Génie biologique. Celle-ci a été mise en oeuvre pour la première fois à la rentrée 2014. Le constat, partagé par plusieurs enseignants en développement durable du supérieur, est qu'enseigner le développement durable n'est pas une évidence. En effet, il ne s'agit pas d'enseigner un concept ou une discipline, mais d'avoir recours à plusieurs d'entre eux. Il s'agit aussi d'enseigner des paradigmes émergents. Il s'agit, avec humilité, d'agir sur les représentations et les comportements. Plusieurs questions se posent : - Comment intéresser des étudiants d'IUT aux enjeux du développement durable et de la responsabilité sociétale, sachant que pour certains d'entre eux la saturation par rapport à l'expression-même de " développement durable " est tangible ? - Quel dispositif pédagogique mettre en oeuvre pour rendre ces mêmes étudiants acteurs de leurs apprentissages ? - Comment les amener à appréhender la dimension systémique du développement durable ? - Que faire pour leur permettre de développer une pensée critique ? Nous nous sommes appuyées sur deux modalités pédagogiques dites " actives " : la pédagogie inversée et la pédagogie de projet. La pédagogie de projet " est une pratique de pédagogie active qui permet de générer des apprentissages à travers la réalisation d'une production concrète. Le projet peut être individuel ou collectif. […] Lors de la démarche de projet, l'élève est placé en situation de résolution de problèmes, participant de fait au processus d'apprentissage " [Wikipédia]. La pédagogie inversée " s'appuie sur est une approche pédagogique qui inverse la nature des activités d'apprentissage en classe et à la maison, ce qui amène une modification des rôles traditionnels d'apprentissage " [Wikipédia]. Sur le plan pratique, nous nous sommes appuyées sur quatre années d'expérience d'enseignement du développement durable auprès d'élèves-ingénieurs de Télécom Bretagne [Prévost et al, 2013] où le recours à la pédagogie de projet fait partie des gènes de l'Ecole et où la pédagogie inversée fait l'objet d'expérimentations. Sur le plan conceptuel, nous nous sommes essentiellement appuyées sur les travaux de A. Baier [Baier et Pongratz, 2013] qui s'est lui-même inspiré des travaux de N. Postman [Post-man et Weingartner, 1971]. Il y est notamment question de co-construire l'enseignement avec les étudiants, en partant des questions qu'ils se posent. I. La nécessité de développer l'esprit critique Le début des années 2000 [Audouin, 2013] était marqué par l'ascension de l'écologie, due à une large sensibilisation du public et au Grenelle de l'environnement. Fin des années 2000, cette ascension est stoppée suite à l'échec des négociations internationales sur le climat au Sommet de Copenhague. La crise économique a ensuite terminé d'achever le processus de disparition apparente du développement durable des préoccupations des Français. Plusieurs facteurs jouent sur les représentations individuelles et collectives à propos du développement durable. Citons par exemple : - la multiplicité et la succession des termes employés (cf. écologie, environnement, développement durable...) ; - l'Education au développement durable qui figure dans les programmes d'enseignement depuis 2004 [MENESR, 2014] ; - certains discours superficiels, dénonciateurs ou encore moralisateurs ; - l'offensive des climato-sceptiques ; - la banalisation des catastrophes naturelles ou industrielles ; - l'association exclusive et limitative du développement durable à l'écologie ; - le Greenwashing ; - le sentiment d'impuissance à l'échelle individuelle. Ainsi, les étudiants face à l'expression " développement durable ", au même titre que n'importe quel français [EncycloEcolo, 2014], peuvent déclencher une " réaction de type épidermique ". Dans tous les cas, le concept de développement durable dérange, notamment parce qu'il remet en question un modèle économique établi depuis 200 ans qui s'appuie sur le postulat que les ressources planétaires sont inépuisables ; ce même modèle qui a érigé la consommation au rang d'unique source d'accès au bonheur. Par ailleurs, le développement durable sous-tend de multiples questions et controverses. Citons par exemples : - Face aux enjeux climatiques et à la raréfaction des ressources en énergie fossiles, quels sont les modes de production d'énergie à privilégier ? - Le développement durable est-il un frein ou un levier à l'innovation pour les entreprises ? - L'économie collaborative peut-elle remplacer l'économie " traditionnelle " ? - Un développement est-il possible sans croissance ? Ainsi, le développement durable pointe la nécessité de développer une vision systémique et prospective des problèmes [CGE-CPU, 2014]. Plus que jamais, il est important de développer l'esprit critique des étudiants. Le développement de cette compétence passe par la capacité à questionner, à formuler une problématique, à collecter et sélectionner des données, à les analyser, à les synthétiser et à les interpréter. Cela passe enfin par la capacité à décider et à agir en conscience. Le tout dans un contexte où l'expertise n'est plus autant valorisée que par le passé et où, comme le dit Frédéric Lenoir, " La modernité a mis l'individu au centre de tout. C'est donc aujourd'hui sur lui, plus que sur les institutions et les superstructures, que repose l'enjeu de guérison du monde. " [Lenoir, 2012]. Autrement dit, c'est à chacun de construire ses arguments critiques. II. Approches pédagogiques mises en oeuvre Une grande place a été donnée à l'autonomie des étudiants dans le choix des enseignements. En termes d'acquisition de connaissances, ils ont dû définir par eux-mêmes ce qu'ils allaient étudier durant le module et le formuler en terme de problème à résoudre (ex. : Peut-on équilibrer l'utilisation des terres entre une production alimentaire et une production énergétique ?). Le principe de la pédagogie inversée a été appliqué car les étudiants ont dû étudier par eux-mêmes un certains nombres de points de contenu, en dehors des temps de face-à-face pédagogique. Lors des temps de présentiel, les connaissances acquises faisaient l'objet d'approfondissements. La pédagogie de projet était également au coeur du dispositif pédagogique, puisque les étudiants ont eu un livrable à réaliser en équipe sous contrainte de temps (cf. réaliser un " mini-cours " à l'attention de l'ensemble des étudiants de la promotion). [...