Responsable de quoi ?

International audienceCette contribution voudrait proposer une mise en perspective longue de l'idée de "responsabilité". Au 19ème siècle se met en place une conception précise de la "responsabilité" : aux institutions "démocratiques" de mettre en place les règles du jeu, via la représentation nationale, et au marché de produire la richesse. L'entreprise n'est responsable que du profit qu'elle fait (Friedman) et de respecter les lois. Le citoyen produit la règle collective en la déléguant à des représentants. Les inégalités de pouvoir sont corrigées via divers dispositifs tels que l'Etat-Providence. Le "développement" c'est la croissance économique. L'Europe se construit aussi par l'intégration économique. Ce processus semble n'avoir de fin que celle envisagée par Marx : un marché mondial ayant absorbé toutes les particularités locales et généré une immense chaîne coopérative. Ce schéma issu des sciences économiques est largement importé en sciences politiques (Badie, 1999) et plus encore dans les études sur le développement. La guerre est devenue une guerre commerciale, le "doux commerce". Avec les enjeux de "développement durable" ce système se grippe. L'innovation, définie jusque-là par le gain économique qu'elle permet (rendements croissants), est contestée. Elle génère des externalités d'ampleur toujours plus importante (ozone, changements climatiques etc.). Elle est minée de l'autre côté par la hausse des matières premières, conséquence de leur raréfaction. Le " développement durable " prend la forme de trois grandes réponses. La réponse technologique s'inscrit dans la continuité du passé : la " domination de la nature " qui a fonctionné hier peut encore jouer demain, il n'y a pas lieu de s'inquiéter outre mesure. Toute la responsabilité est reportée sur les scientifiques, les entreprises et de manière plus secondaire l'Etat. Il faut trouver les innovations qui vont changer la donne. Prenant acte de ce que les laboratoires ne recèlent plus, comme par le passé, d'innovations " de rupture " de taille à surmonter les difficultés, un second courant voit le développement durable comme un moyen de discuter les changements de mode de production et de consommation. Ainsi se dessine une zone clair-obscur dans laquelle on trouve aussi bien des opportunistes qui entendent surfer sur la mode du "responsable" que des entreprises qui ne sont plus totalement à but lucratif, sans relever non plus d'une forme ou d'une autre de "socialisme". Quelque chose d'autre cherche à s'inventer, un entrepreneuriat à but "sociétal" en quelque sorte. Les démarches sont pragmatiques mais elles ne peuvent cacher la rupture qu'elles inaugurent, par rapport au modèle dominant fondé sur la croissance économique. Cela vaut aussi des institutions de représentation: : les associations s'invitent dans le débat, et les institutions en place (science, représentation nationale etc.) sont vivement prises à partie. La "responsabilité" est plus diffuse, moins formalisée, ce qui suscite souvent une réaction de rejet de la part des autorités, qui voient dans ces mouvements un risque de désorganisation voire d'anarchie. Une troisième interprétation du développement durable va encore plus loin et cherche à prendre la mesure de la rupture qui se joue en termes de "civilisation". S'interrogeant sur les spécificités de ce qui s'est mis en place au 19ème siècle, elle cherche dans les marges et notamment dans le tiers-monde les ramifications d'une alternative globale, en termes de conception de l'avenir, découvrant par exemple que les manières un temps jugées dépassées de faire démocratie ou de produire les richesses peuvent avoir une certaine pertinence dans la situation qui est la nôtre. La responsabilité gagne encore un cran de profondeur et se fait rupture avec l'ordre établi, à l'image par exemple de Pierre Rabhi