« Vous avez dit ‘‘populaire’’ ? » : enjeux de parole et de pouvoir dans le théâtre des années 70

International audienceMarquée par le surgissement d’une parole jusqu’alors inouïe et inaudible, la révolution symbolique à laquelle De Certeau associe 1968 a conduit le théâtre à redéfinir ses missions et ses exigences. Comme en témoigne la déclaration de Villeurbanne, le souci de transmettre un patrimoine culturel déjà constitué auprès d’un auditoire élargi est considéré comme insuffisant et tendrait même à perpétuer l’expropriation des moyens d’expression dont est victime une partie de la population. La démocratisation du répertoire doit donc laisser place à des créations inédites où puisse enfin se reconnaître ce qu’on appelle alors le "non-public". C’est dans ce cadre qu’il convient d’inscrire les recherches menées dans les années 1970 par le théâtre dit "du quotidien". En se proposant comme objectif de "mettre en jeu la parole de ceux qui ne l’ont pas", les pièces de Michel Deutsch, Claudine Fiévet, Michèle Foucher et Jean-Paul Wenzel entendent remettre le théâtre en phase avec une réalité populaire trop longtemps interdite de représentation. Un tel projet ne va pas toutefois pas sans tensions tant le geste qui consiste à s’ériger en "porte-parole" s’avère politiquement et esthétiquement problématique. Il faut souligner ici que ce théâtre issu de mai 68 en opère implicitement la critique en portant sur la scène ceux qui sont restés aux marges de l’événement et qui sont précisément privés des moyens linguistiques d’assurer leur libération. La parole s’impose alors comme un enjeu manifeste de pouvoir, de sorte que les dialogues laconiques et maladroits des personnages proposent un questionnement inquiet sur les conditions d’impossibilité d’une véritable transformation collective. Mais la place accordée à ces phénomènes de relégation linguistique n’échappe pas au soupçon du surplomb et du misérabilisme. Aussi est-il intéressant de s’attarder sur des spectacles qui ont précisément tenté d’éviter ces écueils en s’appuyant sur des entretiens : Dorénavant 1 de Wenzel et La Table de Foucher, tous deux créés en 1977 et fondés respectivement sur une année d’implantation dans la ville nouvelle de Bobigny et sur de nombreuses discussions avec des femmes