Il realismo negativo di Umberto Eco

International audienceAux yeux de Gianni Vattimo, la « déréalisation » du monde qui caractérise l'expérience postmoderne est un processus irréversible à quoi s'opposeraient vainement les « nostalgies réalistes ». Ainsi, le retour au réalisme qu'appellent de leurs vœux les tenants du New realism ne serait que le leurre de pouvoir échapper au conflits des interprétations en s'élevant au dessus de la mêlée pour occuper une improbable position de surplomb théorique.Indûment associé au courant de « la pensée faible » pour avoir contribué au célèbre ouvrage collectif qui porte ce titre, publié en 1983 sous la direction d'Aldo Rovatti et de Gianni Vattimo, Umberto Eco n'a eu de cesse de réfuter cette affiliation en précisant dans différents essais sa positon dans l'épineuse querelle ontologique. Le sémioticien renvoie dos à dos les « réalistes naïfs » qui nourrissent l'illusion d'une parfaite adaequatio rei et intellectu et les pragmatistes radicaux pour lesquels les objets du monde n'auraient que des propriétés relationnelles et ne seraient que de pures productions de l'esprit. Loin de chercher à réhabiliter une pensée forte, il défend pour sa part une définition minimale du réalisme selon laquelle la réalité présente des « lignes de tendance et de résistance » que l'interprète ne saurait ignorer. Pour Eco, la sémiose est une activité qui se déploie dans « un monde de faits » et ceux-ci ne sont pas réductibles aux interprétations dont ils font l'objet. Aussi la raison « critique et conjecturale » dont il se fait l'avocat ne peut-elle s'exercer sans garde-fous et doit-elle s'appuyer sur des procédures de vérification. Or s'il est difficile de démontrer la vérité d'une interprétation, il est en revanche possible de la réfuter ou de la « falsifier » au sens que Karl Popper donne à ce terme.S'inscrivant en faux contre la thèse nietzschéenne de l'esthétisation totale de l'expérience soutenue par Vattimo, Eco maintient une distinction forte entre deux régimes discursifs: le discours de type théorique et critique, qui doit se plier aux procédures de légitimation reconnues et partagée par la communauté scientifique, et le discours de type « créatif » ou « artistique » qui n'est pas assujetti aux mêmes contraintes dans la description qu'il nous propose de « mondes possibles